Police politique fouineuse

Police politique fouineuse : Un scandale qui éclatait il y a 25 ans

Il y a 25 ans, le 22 novembre 1989, la Commission d’enquête parlementaire (CEP) instituée suite aux évènements de l’affaire ayant conduit à la démission de la conseillère fédérale radicale Elisabeth Kopp rendait son rapport, débouchant sur la révélation du scandale des fiches de la police politique helvétique. 

Nous avons demandé à notre camarade Nils de Dardel de revenir pour nous sur cette affaire qu’il a suivie de près.

 

 

La police politique ça ne sonne pas très «suisse»?

 

Mais si ! La police politique est en Suisse une vielle tradition datant du 19e siècle, vivace au cours de toute la première moitié du 20e siècle et dans les années 30 en particulier, mais qui a pris son essor de manière massive après la 2e Guerre mondiale dans le cadre de la guerre froide et de la lutte anticommuniste.

Dans le collimateur de ce flicage, on visait d’abord le Parti du Travail, puis – dans les années 50 et 60 – les cercles concentriques des milieux et personnes surveillé se sont étendus progressivement, aux mouvements pour la Paix et contre l’armement atomique, aux milieux soutenant l’indépendance de l’Algérie, hostiles à le Guerre coloniale en Indochine… et à tous ceux·celles appuyant le mouvement d’émancipation et de lutte pour l’indépendance des peuples colonisés.

Après les évènements de 1968, avec le foisonnement de mouvements contestataires de l’ordre établi qu’ils ont entraîné, la surveillance politico-policière s’est encore élargie et diversifiée, en direction de  tous les milieux engagés, mouvements  de femmes, syndicalistes, défenseurs de l’environnement… dans tous les domaines de la vie sociale les militant·e·s faisaient l’objet d’une surveillance.

 

 

Mais les révélations de l’affaire des fiches ont choqué. Pourquoi?

 

Du côté des militant·e·s et particulièrement des milieux révolutionnaires et anticapitalistes, la surveillance policière était biensûr connue. Nous savions qu’on était surveillés et on prenait ou l’on tentait de prendre des précautions appropriées pour y parer. La surveillance du Congrès d’Epalinges de la LMR dans les années 70 est par exemple restée dans les mémoires… Dans nombre de cercles militants on se savait surveillés, écoutés, photographiés, fichés… notamment sur le plan des communications téléphoniques où les propos sibyllins et laconiques étaient de rigueur.

Ainsi, ce qui a fait « choc » avec la révélation de l’affaire des fiches, ce n’est pas tant le fait même d’une entreprise de surveillance politico-­policière, sans bases légales, tournée contre la gauche et les milieux contestataires, mais c’est l’ampleur gigantesque et insoupçonnée de l’entreprise… Sur une trentaine d’années, ce sont 900 000 personnes qui ont été surveillées et fichées !

 

 

Pourquoi tout ceci est-il apparu soudain au grand jour?

 

Le fait que le bloc de l’Est et l’URSS étaient en train de se déliter et de s’effondrer, ont contribué à faire apparaître toute cette entreprise policière comme se trompant de cible et étant vaine et sans objet, détournant des ressources et des moyens de la « grande criminalité » et du « crime organisé » qui étaient une préoccupation majeure de l’heure, notamment en ce qui concerne le trafic de drogue qui se voyait attribuer une importance de premier plan…

Mais suite à ces révélations, la réaction populaire de révolte et d’indignation fut immense. On a vu une manifestation à ce sujet avec plus de 30 000 par­ti­ci­pant·e·s se rassembler sur la Place fédérale à l’appel du « Comité contre une police fouineuse ». En 1990, dans la foulée, était lancé l’initiative « S.o.S. Pour une Suisse sans police fouineuse », déposée en octobre 1991 déjà par le comité d’initiative.

Elle sera rejetée – évidemment – par la droite et le Conseil fédéral qui en retarderont le vote pendant de longues années au motif notamment de l’élaboration d’une Loi sur les mesures de sureté intérieure, sur laquelle j’ai longuement bataillé dans le cadre de la commission des affaires juridiques du Conseil national…

 

 

Comment cela-a-t-il fini?

 

En 1997, le référendum contre cette loi échouait faute d’un nombre suffisant de signatures et l’initiative interdisant la police politique, mise au voix en juin 1998, était refusée par une large majorité de plus de 70 % des votant·e·s. La page était tournée et l’indignation retombée.

Quelques garanties légales avaient été obtenues en ce qui concerne la police préventive, mais l’industrie de la surveillance policière et politique pouvait reprendre. Aujourd’hui, on l’a vu il n’y a pas si longtemps, elle est sans doute florissante, même si – néolibéralisme oblige – elle a pour part été privatisée, comme le montre le scandale de la surveillance des mi­li­tant·e·s d’ATTAC commanditée par Nestlé. 

 

Propos librement transcrits par notre rédaction

 

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AFFAIRE KOPP

 

La chute de la radicale zurichoise, première femme élue au gouvernement helvétique en 1984, s’amorce à l’automne 1987. Des investigations sont alors ouvertes au Tessin dans une affaire de blanchiment d’argent de la drogue. La justice a dans le collimateur la société Shakarchi Trading, active dans le commerce d’or et de devises.

Or cette entreprise compte comme vice-président de son conseil d’administration Hans W. Kopp, l’avocat et époux de la conseillère fédérale. La ministre avertit son mari que l’étau de la justice est en train de se resserrer sur la société en question, il démissionne alors de celle-ci… mais l’affaire s’emballe, de révélations en dénégations à propos de sa violation du secret de fonction, Elisabeth Kopp est contrainte à la démission début janvier 1989.

Fin janvier de cette année-là, les Chambres mettent sur pied la Commission d’enquête parlementaire (CEP-DFJP), qui dévoilera le scandale des fiches sous la conduite du conseiller national et futur conseiller fédéral PS Moritz Leuenberger.