Tunisie

Tunisie : Débats pour le deuxième tour des présidentielles

Suite aux résultats du 1er tour des présidentielles, qui a vu le candidat du Front Populaire (FP) Hamma Hammami se positionner en 3e position avec 7,82 % des voix, un débat a commencé au sein de la gauche tunisienne à propos de la position à adopter au second tour, qui verra s’opposer le candidat de Nidaa Tounes, Béji CaIed Essebssi (BEC), et le président actuel Moncef Marzouki.

Dans cet extrait d’une interview daté du 1er décembre et publié par le journal libanais Al-Akhbar, le leader du FP Hamma Hammami présente les choses de la façon suivante :

 

« Malheureusement pour les Tunisiens, nous sommes confrontés à deux candidats de droite. D’abord, une droite conservatrice religieuse, car Moncef Marzouki est le candidat d’un Front qui inclut Nahda, le mouvement salafiste, les milices des Ligues de la Protection de la Révolution (LPR) (accusées d’être à la solde de Nahda), et Hizb al-Tahrir. D’un autre côté, BEC est soutenu et appuyé par la grande bourgeoisie, qui a perdu celui qui la rassemblait, après la chute de Ben Ali. BEC n’est pas un nouveau personnage dans l’arène politique, il a pris part aux régimes de Bourguiba et de Ben Ali… Dans tous les cas, ni Marzouki et ni BEC ne représentent le Front populaire… les deux partagent un programme économique similaire, un programme capitaliste libéral »

 

Dans le cadre de ce débat, nous publions ici de larges extraits d’une lettre ouverte de mi-li-tant·e·s et sympa-thi-sant·e·s du FP, signée notamment par notre camarade Anis Mansouri, l’un des can-didat·e·s du FP aux législatives pour les Tuni-sien·ne·s de l’étranger. Elle est adressée aux membres du FP et à sa direction.

 

 

——————————————————————————————————————————-

Saisissons l’opportunité historique pour construire

l’alternative de gauche prête à gouverner

 

«Nous vous écrivons à la lumière des résultats des élections législatives et du premier tour de l’élection présidentielle, et en perspective de la prochaine étape.

Concernant le débat en cours sur la possibilité de la participation du Front populaire au gouvernement qui sera formé par Nidaa Tounes, et à la lumière des appels de certains des dirigeants de ce parti à l’adresse du Front pour qu’il donne une consigne pour voter son candidat au second tour de la présidentielle, nous pensons ce qui suit :

 

Le Front populaire et le processus révolutionnaire n’ont aucun intérêt à privilégier un candidat sur un autre, étant donné que tous les deux appartiennent à la contre-révolution. Quelles que soient les divergences sur le fait de savoir si l’un des deux candidats serait « moins nocif » que l’autre, nous craignons qu’un appel du Front à voter pour l’un d’eux ne conduise à la perte d’une partie importante de couches sociales qui le soutient, ou celles dont le Front aspire à gagner le soutien à l’avenir… De ce fait nous pensons que la position la plus sûre est que la direction du Front ne donne aucune consigne pour voter l’un ou l’autre des candidats et de laisser le choix libre à ses militant·e·s et sympathisant·e·s.

 

A notre avis, il n’est pas de l’intérêt du Front d’accepter de faire partie de la prochaine coalition gouvernementale, et ce, pour les raisons suivantes :

En cas de participation au gouvernement, le Front sera obligé d’accepter les politiques de la partie majoritaire. En raison de ses liens à l’intérieur et à l’extérieur, qui ne sont un secret pour personne, Nidaa Tounes n’acceptera pas de donner au Front des centres de décision réels avant tout dans les domaines économique et social. Tout le monde sait que tous les partis de droite sont aujourd’hui d’accord entre eux sur la nécessité d’accepter les diktats des institutions financières internationales sous formes de « réformes douloureuses » qui augmenteront la détérioration des conditions de vie des couches paupérisées et de la classe moyenne. 

Ce qui signifie que le Front non seulement sera incapable, dans le cadre de cette coalition, de mettre en œuvre les politiques qu’il a promises à ses électeurs, mais portera aussi la responsabilité des conséquences de ces politiques impopulaires et antipatriotiques, y compris la répression prévisible du fait des protestations sociales qui s’en suivront. 

Malgré notre confiance en les compétences des militants et dirigeants du Front, l’alliance avec une partie forte de la droite mène dans la plupart des cas à ce qui est arrivé aux partis Congrès pour la République (CPR) et Ettakatol (Forum démocratique pour le travail et les libertés, FDTL) sous le gouvernement précédent de la Troïka, à savoir la perte de crédibilité et la marginalisation.

En outre, cette alliance pourrait renforcer l’image promue par les ennemis du Front populaire, que celui-ci est incapable de faire la rupture avec le régime de Ben Ali de par son acceptation de s’allier avec les héritiers du RCD, essentiellement représentés dans Nidaa Tounes. D’autant plus que le recours de ce parti au musèlement des libertés dans la période à venir est probable.

 

Pour cela, rester en dehors du gouvernement… est une occasion de sortir la lutte politique dans le pays du dédale des questions identitaires fictives et la ramener à son domaine principal, lié directement aux exigences de la révolution et à ses slogans, c’est-à-dire principalement les problèmes économiques et sociaux. 

C’est aussi une occasion idoine, pour la première fois après le 14 Janvier, pour le peuple tunisien, de voir une lutte aux contenus clairs entre :

d’une part, la droite avec ses deux composantes;

de l’autre, la gauche et les forces progressistes en général (à l’intérieur et l’extérieur du Parlement).

 

C’est ce qui permettra aux Tunisiens de distinguer clairement ceux qui sont avec leurs intérêts et problèmes quotidiens, et ceux qui se tiennent contre. Ceci loin de toutes les tromperies et exagérations des rhétoriques de « défense de l’Islam » et de « défense de la modernité ». Cela nécessite à notre avis du Front qu’il ne fasse aucune concession sur aucun point de son programme et qu’il préserve son projet, ce qui n’est pas possible en cas d’adhésion au prochain gouvernement. »