Pornographie et féminisme

Pornographie et féminisme : Le «mainstream» en débat

A la suite de la publication de l’article « Nicki Minaj, le mainstream en émoi » (solidaritéS nº 254), nous publions ci-dessous la réaction d’un lecteur, suivie de la réponse du rédacteur de l’article.

Dans votre article, il est affirmé que c’est le mainstream, le courant dominant, qui est scandalisé contre cette vidéo. Or à l’heure où j’écris, le titre Anaconda a accumulé 250 millions de vues sur YouTube et s’est extrêmement bien vendu. Il me semble donc que le mainstream a octroyé un accueil favorable à Anaconda, contrairement à ce vous affirmez.

Pourtant, il est vrai qu’il y a tout de même plus de 600’000 «dislike» et que les commentaires acérés sont légion. Mais est-ce parce que Nicki Minaj veut sortir du carcan machiste? Ce n’est pas du tout la culture mainstream, mais bien les niveaux underground de la culture d’Internet, qui sont ici en œuvre. Des gens dont les seuls moyens d’expression sont le dislike et le commentaire, souvent ironique, satirique, ou provocateur, ce qui les rend difficiles à interpréter. Des gens qui ont des valeurs très différentes de la culture mainstream, mais aussi très différentes de la culture patriarcale.

Ce qui est reproché à Anaconda est simple: l’omniprésence du sexe dans la chanson. Retirez le cul de Nicki Minaj, et que reste-t-il? Malheureusement pas grand-chose, et pourtant le titre atteint les sommets en termes de vente. Ce n’est pas, comme vous l’affirmez, une question de place de la femme ou de sexualisation du corps de la femme. C’est une question de décadence de la culture pop. 

Anaconda illustre à mon avis comment l’industrie de la musique se transforme presque en industrie du sexe. La question peut même déjà se poser: où se situe la frontière entre la musique cool, populaire et la pornographie? Shakira, Beyonce, Rihanna, et d’autres encore: les superstars féminines jouent sur le sexe. Pareil pour les superstars masculines, qui montrent dans leurs clips des filles dénudées et/ou des poses explicites. Qu’il soit en avant-plan ou en arrière-plan ne change rien, contrairement à ce que votre article stipule. Vous vous focalisez sur la réaction de la culture sur Internet face à une chanson spécifique, mais vous ignorez le mouvement à grande échelle, qui est justement ce que cette culture refuse et tente, à sa manière (l’attaque de dislike et commentaires), de dénoncer. 

 

David Droz

Internaute et étudiant

 

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Tout d’abord merci pour votre réponse, mon article souhaitait ouvrir un débat et je suis heureux que cela soit le cas. Je tiens à préciser que mon article n’affirmait pas que le mainstream rejetait ce clip d’Anaconda. Ce dernier fait évidemment partie de l’industrie pop. Mais il a suscité des réactions au sein d’un public large, alors qu’une marchandise mainstream s’écoule généralement sans faire de bruit. C’est cette réception qui m’intéressait. La sexualisation des corps n’est en rien un aspect inédit. Je ne suis pas convaincu qu’on puisse parler de décadence tant cet aspect est historique pour la pop qui est née avec les déhanchements d’Elvis, lui aussi accusé de pornographie. 

L’article n’affirmait pas non plus que Nicki Minaj était exemplaire d’une émancipation radicale des femmes. Il estimait que la violence des réactions pouvait être reliée au fait que pour une fois, la sexualité féminine était mise en avant pour sortir de la passivité de l’arrière-plan. On pense ici à l’expression de «power bitch», souvent employée par les milieux féministes américains, qui suivent la stratégie, récurrente au sein des luttes féministes ou lgbt, de retournement des stigmates. 

Il est vrai que les commentaires sur Internet sont souvent ironiques et difficiles à analyser. Néanmoins, il s’y exprime actuellement une misogynie violente, multipliant les menaces de viols, que ce soit envers des chanteuses ou des créatrices de jeux vidéos. Il me semble donc pour le moins problématique de valoriser cette attaque de dislike et de commentaires comme une dénonciation antipatriarcale de la sexualisation des corps, comme vous semblez le penser. 

C’est cette misogynie qui constitue selon moi l’aspect le plus dangereux de la culture populaire actuelle. Cette même misogynie qui fait penser que si Beyonce ou Rihanna ont du succès, ce n’est que grâce à leur corps. C’est évidemment une question de goût, mais relevons néanmoins les bonnes critiques que ces albums reçoivent bien au-delà des seuls circuits commerciaux. 

 

Pierre Raboud