Lire Boukharine dans le texte en français

Nicolas I. Boukharine (1888–1938) n’était pas qu’un bon dessinateur et peintre russe. Dès 1914, c’est l’un des meilleurs économistes marxistes, auteur d’ouvrages encore utiles sur les théories marginalistes, l’économie mondiale et la concurrence. Membre de la direction du parti bolchevik pendant 15 ans, il sera le responsable des questions idéologiques, en particulier du programme des communistes, et il formera plusieurs générations de cadres au marxisme. 

De son opposition au traité de Brest-Litovsk à son élimination par Staline, il est l’un des grands acteurs de la Révolution russe. Effacé de l’histoire et presque oublié pendant des années, il est redevenu visible tardivement, son œuvre ayant réapparu en ordre dispersé depuis la fin des années 1960.

 

 

Déjà disponible en ligne

 

L’Archive Internet des Marxistes (MIA), section française (marxists.org), est en train d’enrichir sa rubrique Boukharine, ce qui devrait enfin permettre de mesurer son importance dans l’histoire du marxisme. On y trouvait auparavant trois livres : Le vol. I de L’ABC du communisme (1919) dans une édition de 1923 (le vol. II a été principalement rédigé par Préobrajenski), L’économique de la période de transition (1920) (éd. française de 1976), et La théorie du matérialisme historique (1921) (éd. de 1929, rééd. en 1969). A côté de cela, de brèves traductions fournies par le Bulletin Communiste jusqu’en 1922 et quelques textes liés au débat sur le socialisme dans un seul pays. Enfin, la Lettre à la génération future des dirigeants du parti, que sa jeune épouse Anna avait apprise par cœur en 1937 (rendue publique en URSS en 1988) était aussi disponible, avec une de ses ultimes lettres à Staline.

 

 

Du nouveau bientôt numérisé

 

Une fois numérisées, on trouvera trois brochures nouvelles : De la dictature de l’impérialisme à la dictature du prolétariat (1917–18), Le programme des communistes bolcheviks (1918) et La voie du socialisme et l’alliance ouvriers-paysans (1925). Mais l’ensemble des articles et discours (plus de 70), présenté chronologiquement, permettra d’accéder à quatre dossiers principaux.

 

1 Les contributions de Boukharine à l’élaboration du Programme de l’Internationale communiste (IC). Outre sa brochure de 1918, déjà citée, on aura ses rapports au Ier, IVe, Ve et VIe Congrès de l’IC, ses projets de programme et des extraits des débats dans les commissions du programme du IVe et VIe Congrès. Ses interventions comme dirigeant de l’IC complètent ce premier ensemble.

 

2 Au Ve plenum du Comité Exécutif de l’IC (1925), il avait dirigé les débats sur la question paysanne. Il est le principal responsable de l’IC dès décembre 1926, lorsqu’il prononce un grand rapport au VIIe Plenum du Comité exécutif : Stabilisation capitaliste et révolution prolétarienne. On trouvera aussi ses textes sur l’Angleterre et la Chine, ses discours de politique générale au VIe Congrès, etc. 

 

3 Les débats internes du PC(b)R avec les oppositions et avec Staline, sur la «théorie de la révolution permanente», sur la «plate-forme économique de l’opposition», sur «La Nouvelle Economique» de Préobrajenski, etc. Ses réponses à Trotsky, Kamenev et Zinoviev à la conférence du Parti russe (oct. 1926) ou au VIIe Plenum de l’IC (déc. 1926). Les tentatives de Boukharine pour s’opposer à Staline : Remarques d’un économiste (1928), Le testament politique de Lénine (1929) et, pour la première fois en français, La théorie de la «gabegie organisée», son dernier article dans la Pravda (juin 1929). S’y ajoute le compte-rendu par Kamenev de sa rencontre avec Boukharine (11 juil. 1928).

 

4 Un aperçu du travail théorique de Boukharine. Des éditions révisées ou nouvelles de textes sur la théorie de la valeur de Tougan-Baranovsky (1914), la théorie de l’Etat impérialiste (1916) et l’article cité sur la théorie de la «gabegie organisée», c’est-à-dire sur l’irrationalité des grandes organisations monopolistes et bureaucratiques. Ces documents permettent de saisir un axe de sa pensée : en économie le concept clef de l’époque, c’est le capitalisme d’Etat. On trouvera aussi des interventions « sociologiques », dans le sens qu’il donnait à ce mot : Révolution prolétarienne et culture (1923) examine le risque de « dégénérescence » de la révolution; mais aussi, Théorie et pratique du point de vue du matérialisme dialectique (1931); Les problèmes fondamentaux de la culture contemporaine (1936).

 

Pour en savoir plus

Les textes où Boukharine célèbre la mémoire de Lénine en essayant de comprendre sa pensée et de la prolonger dans les questions politiques du moment sont moins aisés à classer. Le plus remarquable est Lénine marxiste (1924). On découvrira aussi un grand discours pour le dixième anniversaire de la révolution d’Octobre.

Les sources principales de ces documents sont des publications d’époque, les journaux et revues de l’IC, comme La Correspondance Internationale, parfois reprises dans des ouvrages parus entre 1965 et 1990. Il y a quelques traductions nouvelles, certaines sont des documents de travail repris d’éditions en anglais.

MIA n’a pas encore numérisé des livres importants comme L’économie politique du rentier (1914–1919), récemment réédité par Syllepse (2010), L’économie mondiale et l’impérialisme (1917), dont un seul chapitre est disponible et L’impérialisme et l’accumulation du capital (1924–1925), traduit par EDI en 1977. Enfin, les quatre volumes écrits en prison restent inédits en français : Le socialisme et sa culture, Arabesques philosophiques, Vremena [Le temps qui passe] (roman autobiographique) et La transformation du monde (poèmes). 

La biographie de Stephen F. Cohen, publiée une première fois en 1971 (en français : Nicolas Boukharine, la vie d’un bolchevik, Maspéro, 1979) reste la meilleure synthèse existante sur la vie du révolutionnaire russe, en attendant son édition refondue, annoncée depuis quelques temps.

 

Maurice Andreu

(Auteur d’une thèse de doctorat sur le concept de « Crise générale du capitalisme » dans les débats au sein de l’IC, entre 1919 et 1929.)