Réponse à Pierre Lehmann

Réponse à Pierre Lehmann : Des liens entre écologie et population

Pierre Lehmann, opposant connu au nucléaire et à la croissance à tout prix, nous a fait parvenir une lettre critiquant l’éditorial publié dans le nº 256 (voir ci-dessous). Auteur de ce texte, j’aimerais préciser certains points.

 

 


Mesdames, Messieurs,

 

Malgré votre dénonciation d’Ecopop comme association plus ou moins fasciste, il reste vrai que l’augmentation permanente et rapide de la population mondiale va poser des problèmes difficiles. Votre argumentation laisse entendre qu’il n’y a pas de difficulté à faire vivre n’importe quelle quantité d’êtres humains sur la planète. Mais il y a nécessairement une limite, simplement parce que notre monde est fini. Il n’est donc pas inacceptable de se demander combien de personnes peuvent vivre agréablement dans un espace donné comme par exemple la Suisse. Cela ne veut pas dire qu’on doit empêcher la libre circulation des personnes, encore moins qu’on veut fusiller des gens estimés en surnombre. Cela revient à se poser le problème de la densité de population qu’une région, par exemple un bassin versant, peut raisonnablement accepter sur son territoire. Cette densité va évidemment dépendre de beaucoup de paramètres qu’on peut essayer de définir mais qui ne comprennent pas la couleur de la peau ou la nationalité. Et encore moins la fortune des gens.

 

Bref, Ecopop pose des questions raisonnables, mais les réponses peuvent fort bien différer d’une personne à l’autre.

 

Avec mes cordiales salutations,

 

Pierre Lehmann


 

Comme Pierre Lehmann le reconnaît, «la densité de population qu’une région […] peut raisonnablement accepter sur son territoire […] va évidemment dépendre de beaucoup de paramètres qu’on peut essayer de définir […]». Et un édito n’est certainement pas l’endroit pour tenter ce genre d’essais. Voilà la seule raison pour laquelle la question du lien entre écologie et population n’était pas abordée dans mon texte et non pas, comme le suggère mon contradicteur, parce que je voulais «laisser entendre qu’il n’y a pas de difficulté à faire vivre n’importe quelle quantité d’êtres humains sur la planète.», dans je ne sais quelle idolâtrie d’une croissance illimitée sur une planète aux ressources infinies.

Je maintiens néanmoins que les gros souliers xénophobes d’EcoPop ne nous aident en rien à aborder sereinement cette question, son approche en termes de lien de causalité directe entre la densité de la population et la crise écologique que nous vivons n’étant pas pertinente.

Je me reconnais par contre bien davantage dans les propos du démographe Jacques Véron, qui dans son ouvrage Démographie et écologie (La Découverte, 2013) écrit : «Il a souvent été oublié que la relation entre changements démographiques et changements écologiques est médiatisée par les modes de production et de consommation. Les effets sur l’environnement de l’urbanisation, envisagée sous le seul angle d’une forte concentration humaine sur un territoire restreint, diffèrent ainsi selon que les villes sont situées dans des pays développés ou en développement. Le type de pollution atmosphérique émise dépend ainsi de la façon dont les habitants vivent, consomment ou se déplacent. Il en est de même pour la production de déchets. […] Finalement un type de pollution est lié à la richesse, un autre à la pauvreté.»

Encore faut-il ne pas se tromper de cible et agir là où il le faut. Pierre Lehmann a évoqué la question des bassins versants. Prenons donc l’exemple du Rhône et plus particulièrement de l’Arc lémanique. On constate actuellement que l’épuration des eaux usées ne permet pas d’éviter que des polluants d’origine médicamenteuse ne se retrouvent, avec d’autres substances (micropolluants), dans les eaux du lac Léman. L’augmentation de la population de l’Arc lémanique (1,2 million de personnes actuellement), donc de la consommation de médicaments, peut certes être incriminée. Mais cela ne touchera qu’une faible part de la consommation finale de produits d’une industrie – pharmaceutique dans le cas présent – qui peut se permettre de lancer sur le marché des médicaments sans se soucier aucunement de leur cycle de vie écologique.

Ici, la vraie rupture consiste à concevoir et à promouvoir une industrie répondant à d’autres normes que celle du profit des actionnaires, capable d’intégrer des paramètres comme le cycle de vie écologique dès le stade initial de la production. A mon sens, cette nécessité de se saisir du problème à sa racine, donc radicalement au sens premier du terme, ne peut reposer sur des choix individuels, mais procéder d’une volonté collective et politique.

Reste la question, délicate entre toutes, de la politique démographique. Pierre Lehmann a raison de souligner qu’il ne peut s’agir de «fusiller des gens estimés en surnombre». Ni d’en appeler à « Monseigneur Ebola », comme Jean-Marie Le Pen, pour réduire la population africaine. Pas plus que de pratiquer une forme d’eugénisme du quatrième âge pour diminuer l’augmentation de la population due au vieillissement et son coût, comme le propose le ministre japonais des Finances, Taro Aso.

A mon sens, limiter la croissance de la population lorsqu’il y a nécessité de le faire – et pas parce que la Fondation Bill Gates l’a décidé, à partir de calculs aussi fondés que ceux d’EcoPop – ne peut se faire que dans le cadre d’une politique d’ensemble. Qui devrait garantir la satisfaction des besoins fondamentaux, l’accès aux services de santé, à l’éducation, à la sécurité sociale et reposer sur une mobilisation indépendante des premières concernées, à savoir les femmes. Toute politique de régulation des naissances qui ne s’inscrirait pas dans un contrôle démocratique par les populations intéressées est à rejeter. Sur ce point, EcoPop, qui se réfère aux pratiques paternalistes occidentales des années 70 sur son site, a encore beaucoup de progrès à faire.

 

Daniel Süri