Capitalisme globalisé et Ebola

Capitalisme globalisé et Ebola : Quand la science donne raison aux écosocialistes

Des travaux scientifiques publiés durant ces dernières semaines apportent des précisions sur les liens entre développement de l’agriculture intensive d’exportation, sous la pression du marché mondial, et essor de la pandémie d’Ebola. 

Nous savons depuis peu qu’Ebola est présent en Afrique occidentale depuis plusieurs années (anticorps dans des échantillons de sang prélevés il y a 5 ans en Sierra Leone; analyse génétique permettant de dater son apparition dans la région au milieu des années 2000). Mais pour quelles raisons les infections provoquées par ce germe ont-elles soudain provoqué une épidémie incontrôlable ? Parce que «des changements de politique ou de structure socioéconomique (…) peuvent ‹dé-stériliser› un écosystème naturel au sein duquel un agent pathogène a pu être maintenu jusqu’ici en équilibre à un bas niveau d’activité, ou n’avait pas trouvé le moyen d’évoluer» (Wallace, R. G. et al., « Did Ebola Emerge…», 2014). 

 

 

Quand les écosystèmes résistaient aux virus

 

La petite agriculture paysanne, par sa diversité spatiale, temporelle et modale, dresse des obstacles physiques et fonctionnels à la multiplication de nombreux germes. Certains chercheurs tentent ainsi de déterminer, pour chaque écosystème, les modifications socio­économiques qui facilitent l’évolution et la propagation des agents pathogènes. Il semble ainsi que la marchandisation des cultures et les politiques gouvernementales de dépossession des communautés rurales, en favorisant l’accroissement de la densité des hommes et des animaux autour des plantations commerciales, multiplient les contacts à risque : la concentration de virus dans un espace circonscrit favorise leur prolifération. 

Certaines conditions peuvent donc lever les barrières qui entravaient la circulation des microbes dans un écosystème. Cette « fluidité » ne permet plus à une intervention d’urgence de contenir la circulation des germes. Désormais, la lutte contre la pandémie exige des mesures structurelles pour restaurer des pare-feu (Washington Post, 1er août 2014). L’endiguement des virus suppose la capacité d’intervenir sur les transformations des modes de production agricoles, sylvicoles et miniers, pour résister aux injonctions des marchés. Il exige l’action consciente des populations concernées dans une perspective sociale et écologique.

 

 

Des maladies sur les traces du capital 

 

« L’unité structurelle de la santé » suppose le développement d’«une nouvelle science qui trace l’origine des maladies sur les circuits du capital» (Wallace, R. G. et al., « The Dawn of Structural One Health…», Social Science and Medicine, 2014). Par exemple, si Ebola a pu rester confiné un temps parmi la faune sauvage, sa « sortie du bois » serait due à l’expansion de la culture du palmier à huile. En effet, le premier foyer de contagion connu, dans un village proche de Guéckédou (Guinée), se trouve dans une zone boisée, constellée de nombreux villages et plantations qui attirent les chauves-souris frugivores de la forêt, hôtes de choix du virus. La région voisine de Kailahun (Libéria), présente des traits analogues, aggravés par le développement massif du land grabbing.

Le palmier à huile est exploité à l’état naturel et cultivé depuis des centaines d’années dans la région. Pourtant, sous la pression de la demande, ses cycles de jachère sont devenus beaucoup plus courts, entraînant la densification des plantations. En Guinée, sa culture a connu une expansion récente : 15 000 hectares à l’horizon 2015. Certes, le secteur artisanal traditionnel domine encore, mais la Guinean Oil Palm and Rubber Company (SOGUIPAH), entreprise d’Etat, sert de courroie de transmission à la demande extérieure : introduction d’une variété hybride plus productive dont les graines sont fournies par la compagnie, réquisitions de terres et éviction de leurs occupants, multiplication de contrats de fermage, chaînes de production rationalisées, interventions policières contre les résistances populaires. 

 

 

Ebola et l’aide au développement

 

La Banque d’investissement européenne a financé le quadruplement de la capacité de raffinage industriel de la SOGUIPAH, qui interdit désormais aux petits producteurs d’extraire leur huile par eux-mêmes. Ces « avancées » ont favorisé la privatisation des communs : obstacles croissants à la libre exploitation des palmiers à huile naturels ou développement de petites plantations privées sur brûlis. Dès lors, même s’il n’y a pas encore de grandes exploitations multinationales en Guinée, comme au Libéria ou en Sierra Leone, «l’huile de palme y représente un cas typique (…) de privatisation, de commercialisation et de capitalisation, qui fait reculer la production artisanale. Ainsi, (…) l’impact du marché mondial sur l’agro-écologie locale commence déjà à se faire sentir» (Wallace et al., « Did Ebola Emerge… ? », 2014).

La violence de l’épidémie d’Ebola en Afrique occidentale transpose sur le plan sanitaire celle qui préside à la destruction des écosystèmes (déforestation), à la dépossession des communautés rurales (privatisation), au durcissement extrême des conditions de travail dans les secteurs d’exportation (surexploitation), mais aussi au démantèlement des derniers filets sociaux établis par les Etats (plans d’ajustement structurel). Elle annonce le prix que le capitalisme globalisé s’apprête à faire payer aux populations, en particulier les plus pauvres et les plus exposées, pour la marchandisation de leurs économies et les déséquilibres environnementaux qu’elle génère. Raison de plus pour le combattre au nom d’un projet écosocialiste qui ne doit pas être considéré comme un «luxe» pour le Nord, mais comme une nécessité urgente pour le monde entier. 

 

Jean Batou

Une version plus approfondie de cet article est disponible sur le site europe-solidaire.org, sous le titre « Capitalisme globalisé et environnement pathogène : la monoculture du palmier à huile a-t-elle pu provoquer Ebola ? ».