Kobani et la révolution syrienne

La ville à majorité kurde de Kobani, en Syrie, est sous la menace directe, depuis plusieurs semaines, de l’Etat Islamique (EI). Elle serait tombée depuis longtemps sans la résistance organisée par le PYD (Union démocratique) kurde, lié au PKK (Parti des Travailleurs du Kurdistan), et son bras armé, les YPD (Unités de protection du peuple). Des forces arabes luttent aussi contre l’EI à Kobani : le bataillon « révolutionnaire de Al Raqqa », le bataillon « Soleil du nord » et le bataillon de « Jirablis ». Le 4 octobre, l’Armée syrienne libre avait aussi décidé l’envoi de mille combattants pour défendre Kobani.

Kobani est un verrou stratégique pour l’EI : située entre les villes de Cerablus et Tell Abyad que les djihadistes occupent déjà, sa capture permettrait de les relier. Cette agglomération est aussi un point de passage vers la Turquie.

 

 

Une ville-symbole

 

Kobani est la troisième ville à majorité kurde de Syrie, mais aussi la première à s’être libérée du régime d’Assad, le 19 Juillet 2012. 

Elle est le centre de l’un des trois cantons (avec Afrin et Cizre) constitués en « régions autonomes démocratiques », qui aspirent à former une confédération de «Kurdes, Arabes, Assyriens, Chaldéens, Turkmènes, Arméniens et Tchétchènes», comme le dit le préambule de la Charte de Rojava (le Kurdistan occidental ou syrien). Des expériences d’auto-administration intéressantes s’y sont déroulées, notamment au niveau des droits des femmes et des minorités, mais avec des limites, liées notamment à l’autoritarisme des forces du PYD, qui n’ont pas hésité à réprimer des activistes ou à fermer des établissements et institutions qui les critiquent. 

Cela ne doit pas nous empêcher de soutenir la lutte du mouvement de libération national kurde pour son autodétermination en Irak, en Syrie, en Turquie et en Iran, et de demander le retrait du PKK des listes d’organisations terroristes en Europe et ailleurs. 

 

 

La Coalition et la Turquie sont contre les Kurdes

 

Depuis le 23 septembre, les bombardements de la coalition internationale dirigée par les USA, avec la collaboration des pétromonarchies du Golfe, n’ont pas permis d’arrêter l’offensive de l’EI, qui se trouvait alors à 60 km de Kobani… A l’heure où nous écrivons, il occupe plusieurs quartiers de la ville. Cela démontre bien que cette intervention militaire n’a pas pour but d’aider les populations locales mais sert à défendre les objectifs des puissances impérialistes occidentales et les forces réactionnaires régionales qui sont leurs alliées.

De son côté le gouvernement turc de l’AKP démontre à nouveau son opposition à tout projet d’auto-détermination kurde qui remettrait en cause ses intérêts politiques. Ankara met ainsi dans le même sac les Kurdes du PKK et l’EI en les qualifiant tous deux de terroristes. Objectif visé : couper l’herbe sous les pieds des formations kurdes opérant en Turquie et en Syrie voisine, voire les mettre sous pression pour tenter de les coopter.

Le principal objectif de la Turquie est d’empêcher la création d’une zone autonome kurde le long de sa frontière avec la Syrie, c’est pourquoi Ankara fait de la création d’une zone tampon en Syrie l’une de ses principales demandes à la coalition, et non comme elle le prétend, pour protéger les secteurs tenus par l’Armée syrienne libre.

La Turquie a jusqu’ici empêché et empêche toujours les combattants des YPG qui se trouvent sur son sol de se rendre à Kobani pour soutenir les forces kurdes sur place. De surcroît, elle a imposé un couvre-feu, pour la première fois depuis 1992, dans six provinces peuplées majoritairement de Kurdes, en réponse à des manifestations de cette communauté contre le refus du gouvernement de venir en aide à la ville de Kobani et de laisser passer les combattants kurdes qui souhaitent se battre en Syrie. 

Le chef du PYD, Salih Muslim, a enjoint la Turquie de laisser passer des armes, refusant en même temps catégoriquement l’entrée de l’armée turque dans Kobani, qui s’apparenterait selon lui à une « occupation », tandis que le chef emprisonné du PKK Abdullah Öcalan a aussi prévenu que la chute de Kobani signerait la fin des efforts de paix engagés il y a deux ans entre la Turquie et le PKK. 

 

 

La chute de Kobani serait une défaite pour la révolution syrienne

 

La capture de Kobani par l’EI constituerait une double défaite : pour l’autodétermination du peuple kurde et pour la révolution syrienne. Les régions autonomes démocratiques de Rojava ont été rendues possibles par la révolution. L’autonomie de ces régions à majorité kurde n’aurait jamais pu voir le jour sans le mouvement de masse par en bas des peuples de Syrie (Arabes, Kurdes et Assyriens ensemble) contre le régime criminel d’Assad. Ce sont ces mêmes forces populaires qui se sont opposées aux djihadistes qui s’en prennent aux régions autonomes de Rojava. Aujourd’hui, des composantes de l’Armée Syrienne Libre et du YPG combattent côte à côte face à l’EI, tandis que de nombreuses manifestations de soutiens à la ville de Kobani se déroulent dans des villages et quartiers « libérés » de Syrie à l’initiative des révolutionnaires. 

La révolution populaire des peuples de Syrie, Arabes, Kurdes et Assyriens au coude à coude, est la seule réponse au communautarisme religieux et au nationalisme oppresseur. C’est pour cela que nous devons nous opposer à toute tentative de compromettre ce projet d’auto-détermination et la révolution syrienne en même temps, que cela soit de la part du régime d’Assad, des forces islamistes réactionnaires, des différents impérialismes internationaux (américain et russe en particulier) et des puissances régionales (Arabie Saoudite, Qatar, Turquie et Iran).

 

Joe Daher