Les Demeurées - De Jeanne Benameur

De Jeanne Benameur

 

Les Demeurées raconte le mutisme entêté d’une petite fille prise dans un conflit de loyauté entre sa mère, l’idiote du village, et le monde de la connaissance et de l’écrit. Il met des mots sur le lien fait d’instinct, de fusion et de silence unissant Luce à la Varienne. Il raconte son refus d’apprendre et le combat solitaire d’une institutrice, Solange, voulant contrer le déterminisme social et « mener l’enfant au seuil du monde ». Jeanne Benameur met des mots sur l’indicible, c’est toute la beauté de son roman.

 

 

Quel a été le déclic conduisant à vouloir transposer ce roman sur scène?

 

Maria Pérez: Après La Misère du monde de Bourdieu, série d’entretiens que j’avais montés en 2011, j’avais envie d’une fiction poétique qui donne encore la parole à ceux qui ne l’ont pas. Il y a un rapport avec ma propre histoire dans ce souci de dépeindre les petites gens en peine d’existence, d’origines, d’argent et de boulot, mais il y aussi que le théâtre contemporain a de plus en plus gommé les figures du peuple de son répertoire pour se consacrer à des héros. Par exemple, quand il faut redimensionner un projet, pour des raisons budgétaires peut-être, on supprime souvent le chœur, les petits rôles de gens du peuple. Ils ne sont plus indispensables pour raconter la petite ou la grande histoire. C’est un peu la triste métaphore du monde d’aujourd’hui. L’acte théâtral devient moins collectif, d’où l’importance accordée aujourd’hui aux metteurs en scène et directeurs au détriment de la troupe.

 

 

Et au-delà de ce point de départ comment cela s’est-il passé?

 

Ce qui a permis l’éclosion des Demeurées c’est aussi la rencontre avec un complice, le metteur en scène Didier Carrier qui a tout de suite aimé le texte et eu envie de raconter cette histoire de femmes, puisque j’avais envie d’éprouver sur scène les mots de Benameur. La rencontre avec Laurence Vielle et Béatrice Graf, âme musicale de notre histoire, a aussi été déterminante pour ce travail collectif, sur ce que cha­cun·e d’entre nous allait apporter. En fait, pour moi, le processus menant au spectacle est aussi important que le résultat final. Il faut que les valeurs et postures humanistes qui sont défendues dans un texte soient présentes dans la pratique théâtrale. La crise, par exemple, qui agite aujourd’hui le Théâtre St-Gervais est de ce point de vue regrettable.

 

 

Quel rôle joues-tu sur scène?

 

Je ne joue pas un rôle particulier, nous racontons une histoire à deux voix, trois corps et… des casseroles et autre quincaillerie de cuisine ! C’est, je crois, ce qui rend ce travail original et c’est la gageure que nous voulions relever, en mettant en scène le texte tel que Benameur l’a écrit, en essayant de retransmettre au spectateur le mouvement et l’entrelacement de ceuui-ci. Mais qu’on ne s’y méprenne pas, le spectacle est vif, physique et j’espère inattendu.

 

 

Parle-nous de la musique, quel rôle joue-t-elle dans le spectacle?

 

La musique est un élément central du spectacle. Le décor lui-même d’ailleurs s’est bâti autour de la musique. Béatrice Graf est notre « batteuse domestique » et ses objets utilitaires, présents sur scène, recréent aussi bien l’univers visuel que sonore qui pourrait être celui du monde de la Varienne, un monde fruste d’où naît une poésie primitive, élémentaire.

 

 

Tu n’es pas que comédienne, aujourd’hui tu milites et travailles à solidaritéS, tu es aussi conseillère municipale en Ville de Genève. Quelle place a pris la politique dans ton métier

 

Mon professeur était l’incontournable metteur en scène André Steiger qui a milité au Parti du Travail dans sa grande période. Il prônait le théâtre comme lieu de circulation de l’intelligence, du plaisir de travailler à construire, à révéler et à déchiffrer le monde. Il croyait en un théâtre qui se sacrifie pour la lutte. Il m’a transmis cet engagement, même si je ne crois pas que le théâtre seul puisse changer le monde. Les véritables luttes se font ailleurs et je suis quelqu’un qui a besoin de s’ancrer dans la réalité, pas juste la mienne mais celle du monde

 

Propos recueillis par notre rédaction