Presse suisse

Presse suisse : Licenciements en vue du côté du «Temps»

Le groupe d’édition Ringier, plus grande entreprise suisse de média sur le plan international, a annoncé plusieurs restructurations importantes au sein du quotidien romand Le Temps, avec un nouveau rédacteur en chef et le déménagement forcé de sa rédaction de Genève à Lausanne. Pour rappel, le quotidien avait été mis en vente en octobre 2013 par ses deux actionnaires principaux Tamedia et Ringier (qui détenaient chacun 46,25 %). Ringier a racheté les parts de son concurrent, rachat accepté depuis par la Commission de la concurrence. Depuis lors, les réorganisations se succèdent au sein du Temps.

Après plusieurs mois d’incessantes rumeurs, les 140 sa­la­rié·e·s du quotidien Le Temps ont appris que Ringier, désormais propriétaire à 92,5 % du journal, allait exécuter d’importantes réorganisations, sans presque associer la rédaction et les col­la­bo­ra­teurs·trices dans les changements envisagés. La première restructuration entreprise par Ringier a été de nommer Stéphane Benoit-Gaudet comme nouveau rédacteur en chef à la place de Pierre Veya. Actuel rédacteur en chef du magazine économique Bilan, Stéphane Benoit-­Gaudet quittera le bimensuel pour entrer au Temps dès le 1er avril 2015. La directrice du Temps Valérie Boagno va également quitter l’entreprise.

 

De nouvelles « synergies » pour de futurs licenciements ?

La deuxième restructuration plus conséquente s’effectuera avec le déménagement de la rédaction du quotidien de Genève à Lausanne. Ce déménagement impliquera la mise en place d’une newsroom (salle de rédaction commune) partagée avec l’Hebdo et Edelweiss afin «de créer des synergies» avec ces derniers, qui appartiennent également au groupe Ringier, en échangeant du contenu tout en restant indépendant sur le plan publicitaire. Ringier avait déjà mis en place une newsroom du côté de Zürich avec le groupe Blick. Avec ces changements, il y a fort à parier que des économies seront réalisées en procédant à la suppression de postes qualifiés de « doublons », par exemple dans la culture. Si cette dernière a assuré que «pour le moment rien n’est planifié» pour les 140 col­la­bo­rateurs·trices du quotidien, la porte-parole de Ringier, Danja Spring, a tenu à préciser qu’en cas de futurs licenciements, des mesures d’accompagnement seraient envisagées.

Du côté des col­la­bo­rateurs·trices, ces derniers ont manifesté leur mécontentement face au déménagement dans la capitale vaudoise, du fait de l’importance de la place financière genevoise ainsi que son poids dans les relations internationales, malgré le fait que Ringier ait indiqué vouloir maintenir une rédaction régionale d’une dizaine de places au bout du lac. Les journalistes ont par ailleurs demandé à être consultés pour la mise en place de cette nouvelle newsroom lausannoise. Les responsables de Ringier et du Temps ont accepté de leur accorder un entretien d’une heure et demie le mercredi 10 septembre.

Du côté des organisations des sa­la­rié·e·s, Impressum, association des journalistes et Syndicom, syndicat des médias et de la communication, ont également manifesté la crainte d’assister à des licenciements tout en dénonçant le processus unilatéral de Ringier qui n’a pas associé plus tôt la rédaction et les col­la­bo­ra­teurs·trices à l’ensemble de ces changements. En Suisse alémanique, la même semaine, Syndicom et Impressum ont dénoncé également l’absence de convention collective de travail (CCT) avec les éditeurs alémaniques depuis plus de dix ans. Impressum a dénoncé la précarisation rampante des professions de la branche suite à une dizaine d’années de travail sans CCT en dénonçant la résistance constante des éditeurs pour ne pas entrer en négociation. Le principal conflit se situe dans la surcharge de travail systématique et la course contre la montre dans les rédactions qui n’ont pour le moment aucune réglementation.

 

Résister au formatage de l’information

La situation vécue par les sa­la­rié·e·s du Temps et l’absence de CCT en Suisse alémanique sont symptomatiques de la crise profonde que vit actuellement la presse payante en Suisse, qui a perdu 20 % de ses lec­teurs·trices depuis 2000 et qui est de moins en moins soutenue par la publicité, qui lui préfère les « gratuits ». La dépendance publicitaire des journaux payants fait qu’il est de plus en plus difficile de résister à des pressions d’ordre commerciales ou politiques, sans parler de l’aide aux médias de la Confédération qui a été réduite en peau de chagrin suite aux nombreuses coupes qu’elle a subi ces dix dernières années au Parlement. Les journaux meurent à petit feu ce qui a pour conséquences la mise en place de fusions, de restructurations, de licenciements.

Dans ce tourbillon de changements, c’est la profession de journaliste qui est mise sous pression, conduisant certains à sacrifier leur liberté intellectuelle pour conserver tant bien que mal leur emploi. En somme, le journalisme d’investigation et d’opinion est en voie de disparition et cède de plus en plus la place à un formatage des nouvelles avec de l’info « popcorn » remplie de faits divers que des journalistes sont contraints d’écrire de manière docile. Avec la standardisation des médias, c’est également la diversité des opinions qui s’effrite avec une pensée unique de plus en plus hégémonique. Les diktats de groupes comme Tamedia ou Ringier ne semblent plus connaître de limites, rachetant, fusionnant et précarisant tout sur leur passage. Il est par conséquent fondamental de soutenir toute tentative de résistance des sa­la­rié·e·s de la presse en leur apportant notre solidarité dans l’éventualité de luttes futures.

 

Jorge Lemos