La grève de Gate Gourmet en question

Le 31 mai dernier, la grève des employé·e·s de Gate Gourmet prenait fin après plus de 8 mois. La défaite du mouvement démontre d’un côté que les offensives patronales deviennent toujours plus fortes, notamment afin de détruire les résistances syndicales et d’étendre la pratique du dumping salarial. Mais aussi que de l’autre les grèves minoritaires doivent être interrogées.

En septembre 2013, l’entreprise Gate Gourmet dénonçait sa convention collective et licenciait presque l’ensemble de son personnel afin de le réengager à des conditions largement détériorées. Face à la violence de cette offensive, une minorité du personnel a décidé, sur impulsion du syndicat des services publics (SSP), de déclarer la grève.

Après plus de 8 mois de lutte, les grévistes encore mobilisés ont vu leur dernier espoir partir en fumée, suite à la signature d’un accord entre M. Maudet, Gate Gourmet et le comité national du SSP. Cet accord, négocié sans l’aval des tra­vail­leurs·euses con­cer­né·e·s, ni celui de la région de Genève, enterrine entre autres les licenciements des grévistes et valide une paix du travail presque total. Cette défaite syndicale, construite sur un non-respect des règles démocratiques, met en lumière les enjeux qui traversent le syndicalisme aujourd’hui en Suisse.

 

Une validation politique du dumping

 

Tout d’abord, la situation de Gate Gourmet révèle l’agressivité toujours plus marquée des entreprises cherchant par tous les moyens l’accroissement de leurs profits. Ceci se traduit, de manière flagrante à l’aéroport de Genève, par une intensification de la sous-­enchère salariale. Dans un contexte de concurrence internationale généralisée, le patronat souhaite déréguler les conditions de travail et faire baisser les masses salariales, au détriment direct des tra­vail­leur·euses. Pour ce faire, il leur faut détruire les résistances syndicales et affaiblir durablement les conventions collectives de travail. Or ces pratiques honteuses viennent de recevoir une caution politique en la personne de Pierre Maudet. Celui-ci a mis un point d’honneur à défendre le dumping salarial à l’aéroport, en décrochant la signature de cet accord notamment. Il est inacceptable que l’Etat tolère, dans une régie publique telle que l’aéroport, des pratiques si destructrices pour les tra­vail­leurs·euses. Il est au contraire temps que le Conseil d’Etat exige des comportements corrects et conformes aux lois de la part d’entreprises qui reçoivent leur autorisation d’exploitation de la part d’une régie publique.

 

De l’efficacité d’une grève minoritaire

 

Le bilan final du mouvement de lutte est donc extrêmement lourd : une dégradation des conditions de travail, le licenciement des grévistes, la validation et la caution politique du dumping salarial, l’affaiblissement du SSP à l’aéroport ainsi qu’une défaite publique qui refroidira sans doute d’autres mouvements. Si les grévistes ont fait montre d’un courage exemplaire, cela ne signifie pas pour autant qu’il faille masquer les interrogations que suscite cette expérience. 

L’échec de ce mouvement nous amène en effet à nous pencher sur la pertinence des grèves minoritaires. Doit-on, dans un contexte de rapport de forces si défavorable, lancer des grèves minoritaires ? Les deux dernières expériences en la matière, à savoir la grève de la Providence et celle de Gate Gourmet se soldant en particulier par le licenciement des grévistes et la perte complète sur le tableau des revendications, n’incitent pas à l’enthousiasme. 

Ces situations doivent amener une réflexion de fond sur les mouvements de grèves en Suisse. Nous devons bien nous garder de ne pas sombrer dans la radicalisation d’une minorité qui s’isole, pour mener des grèves minoritaires ayant pour but de « contaminer » le plus grand nombre. La grève est un outil de lutte, mais aussi une expérience qui doit permettre de former des mi­li­tant·e·s, de sensibiliser les tra­vail­leurs·euses et d’avancer sur le plan des revendications. Elles ne peuvent pas, mis à part le cas d’une grève capable de bloquer complètement l’appareil de production, être utilisées pour rentrer dans un rapport de forces qu’elles n’ont aucune chance d’infléchir. Le contraire mène à des situations tragiques.

 

De la démocratie ouvrière

 

La place de la décision des tra­vail­leurs·euses dans le processus de lutte est finalement le dernier enjeu que soulève cette histoire. En effet, il convient de questionner l’aspect démocratique de l’ensemble du processus de lutte, depuis le lancement de la grève jusqu’à la conclusion de l’accord. Le SSP, basé sur une réelle démocratie ouvrière, a semble-t-il rencontré des difficultés dans le respect de ces règles démocratiques. Le comité central du SSP a décidé de négocier un accord dans le dos de la région et des grévistes. Si les motivations peuvent paraître fondées au vu de la situation, la pratique n’en reste pas moins inacceptable et ramène sur le devant de la scène l’inévitable dichotomie entre le syndicalisme militant et le syndicalisme d’appareil. La bureaucratie syndicale semble avoir gagné une manche au sein du SSP.

En conclusion, l’expérience de Gate Gourmet nous enseigne la nécessité de construire des résistances fortes sur les lieux de travail en s’appuyant sur une base la plus large possible parmi les sa­la­rié·e·s. Seule l’auto-organisation de tra­vail­leurs·euses, aidés par des syndicats combatifs et démocratiques à leur service, peut rendre le combat contre le dérégulation des conditions de travail plus efficace. Il ne faut pas que les militants syndicaux se découragent, mais qu’ils travaillent dans une perspective de syndicalisation des collègues démobilisés. Quant aux expériences de défaite, elles doivent nous permettre de tirer de riches enseignements notamment sur la gestion des grèves et sur les stratégies de lutte. La lutte continue !

 

Pablo Cruchon