État espagnol

État espagnol : Une caste politique en crise, en faveur de la gauche antisystème?

Dans l’Etat espagnol, les choses sont en train de bouger à grand échelle et à grande vitesse avec la naissance d’un fort mouvement social (15M, las Mareas ou Marches pour l’éducation, santé, etc., la Marche pour la dignité de mars dernier)?; le tsunami des élections européennes?; plus récemment encore l’abdication du roi Juan Carlos et les fortes mobilisations pour le droit à décider entre monarchie ou République?; et pour finir le processus entamé en Catalogne pour le droit à l’indépendance. 

 

Tous ces éléments se déploient sur fond de crise sociale, économique et politique majeure. Pour les clases dominantes espagnoles et leurs partis (PP et PSOE), c’est un choc sans commune mesure. Examinons cette situation plus en détail : 

 

Un tremblement de terre

Depuis la fin de la dictature de Franco, en 1975, et la mise en route d’un système politique basé sur l’alternance entre le PSOE et le PP, l’Etat espagnol n’avait pas connu de tremblement de terre comparable aux dernières élections européennes. Le Parti Populaire (parti de la droite actuellement au gouvernement) a perdu plus de deux millions et demi de voix et le PSOE presque trois millions. Le PSOE est en crise profonde et ne sauve les meubles que grâce aux voix obtenues en Andalousie. Dans plusieurs régions la somme des voix obtenues par la Gauche UNI (IU) et Podemos est supérieure à celle du PSOE. Ce parti a ainsi perdu dans l’imaginaire populaire l’aura d’être le parti de gauche recueillant le plus de votes. 

Ces deux partis, le PP et le PSOE, apparaissent (et en vérité ils le sont bel et bien) comme les partis d’un système corrompu et qui soutiennent la monarchie. Une monarchie éclaboussée elle-même par des scandales de corruption. L’abdication du roi Juan Carlos en faveur de son fils représente une tentative pour donner une nouvelle image de cette institution et à travers elle de toute la classe politique, judicaire et économique. Le jour même de l’annonce de l’abdication, des milliers de ma­ni­festant·e·s se sont rassemblés de manière spontanée partout en Espagne pour exiger le droit à un référendum sur la forme d’Etat, le droit populaire de décider de cette dernière (plus de 70 % de la population espagnole actuelle n’a pas pu s’exprimer par vote sur la forme du gouvernement).

La mise en question de la transition politique, jusqu’à maintenant présentée comme modèle, alors qu’elle n’a été qu’une transmission entre les mêmes secteurs qui étaient au pouvoir sous le dictateur Franco vers le régime de la monarchie parlementaire, a ébranlé une des bases idéologiques de l’actuel régime. N’oublions pas que c’est le dictateur Franco qui a établi Juan Carlos comme roi.

 

Une nouvelle force

Lors des dernières élections Européennes, la percée de Podemos (littéralement On peut) est spectaculaire, et son score global (7,96 %) n’est pas loin de celui d’Izquierda Unida (9,99 %) et même supérieur à Madrid (11,2 %), en Aragon (9,5 %), aux Asturies (13,67 %), aux Baléares (10,3 %), à Cantabria (9,2 %), communautés où elle est devenue la troisième force politique. Cela signifie concrètement que Podemos est devenu la quatrième force politique de l’État espagnol. C’est la première fois depuis la République (1931–1939) qu’une force à la gauche du PCE-IU obtient une percée électorale aussi importante au niveau de l’ensemble du territoire espagnol. Podemos apparait comme un parti représentatif du mouvement du 15 Mai par sa façon de faire de la politique au moyen de cercles, au nombre de 400 avant les élections et maintenant plus de 1000. Son discours antiautoritaire, anticapitaliste et contre la caste politique a eu un grand écho, surtout dans la jeunesse et dans la génération plus politisée qui a vécu les dernières années de la dictature. Podemos a une grande responsabilité historique : ne pas trahir tout cet espoir exprimé dans plus de 1 250 000 voix et donner une perspective de changement réel. Est-ce que sa direction actuelle, avec sa conception d’organisation pyramidale et bolivarienne de la politique sera à la hauteur de ces attentes ? La décision de former une direction réduite aux leaders sans prendre en compte les assemblées des cercles, et la volonté de marginaliser les autres options politiques sont de mauvais présages.  

En Catalogne, pour la première fois, le parti ayant recueilli le plus de votes n’a pas été la droite nationaliste mais Esquerra Republicana, un parti qui soutient le droit à l’autodétermination. On peut y voir le début d’une crise pour la droite nationaliste, qui peut perdre son hégémonie politique et sociale suite aux politiques d’austérité menées depuis 2010. Ces résultats compliquent les possibles négociations entre le gouvernement central et le gouvernement Catalan lors du referendum sur l’autodétermination qui aura lieu en novembre.

 

Rendez-vous fixé

Le mouvement social a fixé un rendez-vous important avec la prochaine mobilisation du 21 juin, proposée à nouveau par les secteurs qui avaient organisé les Marches pour la dignité du 22 mars. Cette fois-ci, ils ont appelés toutes et tous à encercler les parlements autonomes dans tout l’Etat Espagnol ainsi que le parlement central pour affirmer que la caste politique doit partir et qu’ils·elles ne veulent plus des politique de la troïka ni du gouvernement espagnol. La réussite de cette initiative est très importante pour le démarrage des luttes sociales, pour le moment trop dispersées.

 

Juan Tortosa