Un regard critique sur la vie politique neuchâteloise

Francis Berthoud est pasteur. Il a dirigé le Centre social protestant de Neuchâtel pendant 24 ans et a également occupé le poste de député socialiste au Grand Conseil pendant 14 ans. Très engagé dans le tissu social et politique du canton, il a bien voulu répondre à nos questions sur la vie politique neuchâteloise.

François Konrad: Lors de sa session du mois de mars, la majorité du Grand Conseil a voté une motion contraignant le Conseil d’Etat à trouver des économies structurelles pour un montant de 160 millions de francs. Quel est ton avis à propos de cette décision, ainsi que sur ses conséquences?

 

Francis Berthoud: Au cours de la législature 1989–1993, la gauche, majoritaire au Conseil d’Etat, mais pas au Grand Conseil, n’a pas planté un clou de l’avis des conseillers d’Etat de l’époque. 

Dans la même configuration, l’actuelle majorité du Conseil d’Etat a fait preuve de naïveté en s’imaginant qu’une bonne entente avec leurs collègues de droite induirait la majorité du législatif à ne pas mettre pas les bâtons dans les roues du Conseil d’Etat.

Patatras, les 160 millions rendront impossible toute velléité de faire une politique de gauche. La droite n’acceptera d’économies que dans le social, l’enseignement et la santé. Il est impératif que ce qui reste de la gauche du PSN et les autres partis de gauche donnent de la voix et refusent toute mesure de droite présentée par le Conseil d’Etat devenu l’otage de la majorité de droite du Grand Conseil.

 

 

De manière générale, quelle est ton appréciation de la situation financière du canton et des remèdes qui ont été trouvés, comme la baisse de la fiscalité des personnes morales et pour une part des personnes physiques?

 

La baisse de la fiscalité des personnes morales était une anticipation de ce que le Conseil Fédéral va imposer à tous les cantons sous la pression de l’UE. Elle permettait d’éviter de perdre le bénéfice de la péréquation fédérale. Il sera possible de juger de son bienfondé lorsque le Conseil Fédéral proposera les détails de ses propositions. 

Il est regrettable que celle des personnes physiques n’ait pas été jumelée à celle des personnes morales. On aurait eu des propositions concrètes au lieu de belles promesses. Le Conseil d’Etat aurait été contraint de faire bénéficier tous les contribuables de cette baisse au lieu de ne pas accorder 1 franc à 25 % d’entre eux. En faveur des familles, l’effort aurait dû être fait entièrement par des rabais d’impôts identiques pour tous les contribuables. A ma connaissance, la charge d’enfants est identique pour les revenus modestes et les plus aisés.

 

 

Une question qui reste très sensible est celle de l’effet de seuil, soit de voir des personnes a revenu modeste ne pas pouvoir accéder à l’aide sociale et se retrouver encore plus mal loties après avoir payé toutes leurs factures. Quel est ton avis à ce propos?

 

Les effets de seuil sont nombreux. Il est probablement impossible de les supprimer, mais il est possible de les réduire si la volonté politique existe. Leur addition crée des réductions du revenu disponible excessif.

Depuis plus de 10 ans, je me suis focalisé sur ceux dus aux subventions de l’assurance maladie au sortir de l’aide sociale. 

Il convient de préciser que dans le canton de Neuchâtel une situation particulière perdure suite à la mauvaise volonté du Conseil d’Etat. Il n’y a que cinq catégories de subventions séparées par des écarts entre la première et la quatrième respectivement de 71, 87 et 63 francs. L’écart entre les catégories ne devrait pas excéder 20 francs pour que se produise un effet de lissage. 

Ce qui m’a mobilisé, c’est l’écart à la sortie de l’aide sociale. Il était de 184 francs en 2007. Mes virulentes interventions dans la commission sociale interne au PSN ont incité le Conseil d’Etat à opérer de petites réductions chaque année. Il est encore de 114 francs en 2014.

Ce qui signifie qu’au sortir de l’aide sociale un célibataire voit son revenu disponible mensuel se réduire de 114 francs en ne tenant compte que de l’effet de seuil des subventions maladie auquel s’ajouteront les autres effets de seuil, en particulier celui induit par la fiscalité. La diminution du revenu disponible mensuel d’un couple sans enfants sera de 228 francs. Si l’on ajoute deux enfants, on dépasse les 300 francs. Je comprends les assistants sociaux qui déconseillent à ceux qu’ils rencontrent de sortir de l’aide sociale.

Il convient de rappeler qu’une franchise de 400 francs est accordée aux bénéficiaires de l’aide sociale qui travaillent. Je n’ai pas vérifié, mais je crains qu’une  fois sortis de l’aide sociale, ils ne puissent, en cas de nécessité, y retourner que si leur revenu est réduit des 400 francs de franchise dont ils bénéficiaient avant de sortir de l’aide sociale.

En janvier 2008, le Grand Conseil avait accepté, avec clause d’urgence, une motion demandant que soit mis fin aux incohérences de la politique sociale. Depuis l’on n’a rien vu venir. Sa première signataire, candidate au Conseil D’Etat, m’avait juré, craché par terre, que si elle était élue elle s’occuperait de sa motion en priorité. Alors, camarade, je ne savais pas qu’une élection rendait amnésique ! 

 

Propos recueillis par
François Konrad

Suite et fin de notre entretien dans

le prochain numéro de « solidaritéS ».