Vague de grèves en Chine

Vague de grèves en Chine : Bas salaires et inégalités sociales en cause

Kevin Lin est doctorant à l’Université de Technologie de Sydney et spécialiste du mouvement ouvrier en Chine. Le journal socialiste et écologiste australien « Green Left Weekly » lui a posé quelques questions par l’entremise de Peter Boyle. Nous en traduisons l’essentiel.

Il semble y avoir une recrudescence de l’activité du mouvement ouvrier en Chine. Que pouvez-vous nous dire sur les récentes grèves et leurs causes?

 

Suivre les grèves en Chine est difficile, à cause de la censure, mais il semble bien qu’il y ait une recrudescence des grèves ces derniers mois sur la base des rapports collectés par les groupes d’activistes ouvriers.

La grève la plus récente, une des plus importantes en Chine depuis de nombreuses années, se déroule dans un complexe de l’usine Yue Yuen, un groupe taïwanais, dans la ville de Dongguan. La ville est un grand centre de production de la province méridionale du Guangdong.

Depuis le 14 avril, plus de 40 000 travailleurs sont en grève contre le paiement incomplet par l’entreprise des assurances sociales des travailleurs. Les grévistes ont remarquablement bien tenu devant les intimidations de la police. Leur attitude a entraîné une grève de solidarité dans une autre usine appartenant au même groupe.

La grève a obtenu une forte couverture médiatique internationale en raison de son ampleur, de sa durée et de son impact sur des marques mondiales comme Nike et Adidas, dont l’entreprise est un fournisseur.

La majorité des rapports récents indiquent que les travailleurs ont repris le travail après l’acceptation, par la direction de l’entreprise, de nombreuses revendications des ouvriers et ouvrières. Le succès de cette grève va certainement inspirer les futures actions des travailleurs ailleurs dans le pays.

Durant ces deux derniers mois seulement, il y a eu un certain nombre d’autres grèves. Le 20 avril, des milliers de chauffeurs de bus à Shenzhen ont organisé une manifestation de rue sur la question des salaires et des horaires de travail. Le 21 avril, environ 1000 travailleurs d’une firme de Beijing, produisant des moteurs électriques et appartenant à l’Etat, se sont mis en grève pour protester contre les licenciements et les indemnités compensatoires insuffisantes proposées après l’annonce de la délocalisation de l’usine.

Le 21 avril, environ 100 travail­leurs du service de la voirie à Foshan, dans le Guangdong, se sont rassemblés devant les bâtiments du gouvernement pour protester contre la forte intensité du travail et exiger des salaires plus élevés. Et à partir du 8 avril, environ 1000 enseignants d’un comté dans la province du Henan ont protesté contre leurs bas salaires. Ils ont été rejoints par environ 1000 autres enseignants d’un comté voisin lors d’une manifestation de masse quelques jours plus tard.

En mars, environ 1000 chauffeurs de taxi à Yixing, dans le Jiangsu, ont organisé une grève pour protester contre l’augmentation des frais que leur facturait l’entreprise. En mars, les travailleurs d’un magasin Walmart à Chengde, dans le Sichuan, tinrent un piquet de grève pendant deux semaines devant leur magasin, après l’annonce de la décision de sa fermeture.

C’est là juste une sélection des grèves et des manifestations qui se déroulent dans toute la Chine. […]

 

 

Les récentes données montrent un écart croissant entre la part du travail et celle des profits dans le revenu national. Est-ce une partie de l’explication?

 

Oui, le succès économique de la Chine est construit en grande partie sur une main-d’œuvre à bas coûts. Les salaires ont été maintenus à un bas niveau pour attirer les investissements. […] La part du revenu national des salaires a baissé depuis le début des réformes économiques dans les années 1980.

Une étude récente montre que, en pourcentage du PIB chinois, la part des salaires a diminué de 51,4 % en 1995 à 42,4 % en 2007, avec une remontée en 2012 seulement à 45,6 %. Cette baisse est liée à une forte augmentation des revenus et de l’inégalité des richesses.

Le coefficient de Gini [de mesure des inégalités sociales, réd.] de la Chine a atteint un sommet de 0,491 en 2008?; il est en légère baisse à 0,477 en 2011 et 0,474 en 2012, faisant de la Chine l’une des sociétés les plus inégalitaires du monde.

Une récente enquête révèle que, en 1995 et en 2002, les 10 % les plus riches de la Chine contrôlaient respectivement 30 % et 41 % de la richesse, mais qu’en 2011 ces 10 % contrôlaient 86 % de la richesse et 56 % des revenus.

Les bas salaires du plus grand nombre de travailleurs et l’extrême inégalité des revenus sont parmi les principales causes des conflits sociaux en Chine. […]

 

 

Y at-il eu un changement dans l’attitude des autorités chinoises devant ces actions ouvrières?

 

Oui, le gouvernement a de plus en plus tenté d’éviter la confrontation avec les travailleurs en grève. Bien sûr, la réponse concrète des autorités locales varie d’un cas à un autre et des actions brutales de la police lors d’affrontements se produisent encore.

Mais le gouvernement s’est rendu compte que la répression systématique des actions collectives pourrait facilement conduire à une escalade. Les manifestations sont si fréquentes qu’il est tout simplement irréaliste de les empêcher toutes.

Il est beaucoup moins coûteux politiquement pour le gouvernement d’obtenir des concessions de la direction au nom des travailleurs et de négocier la fin de la grève. Le gouvernement en est venu à reconnaître la légitimité des revendications économiques des travailleurs, mais s’oppose aux demandes des travailleurs de démocratiser les syndicats. Les dirigeants des protestations sont parfois la cible dune répression sélective. Les travailleurs qui tentent d’agir collectivement font donc encore face à de nombreux défis. […] 

 

Traduction, titre et coupures de la rédaction