Fiscalité des entreprises

Fiscalité des entreprises : Jeu de dupes entre la droite et la gauche gouvernementale

Le Conseil d’Etat vaudois a annoncé une baisse très importante de l’imposition sur les bénéfices et le capital. Pour que la population ne s’indigne pas trop de ce cadeau fiscal octroyé aux propriétaires des entreprises, et pour obtenir le soutien de la gauche gouvernementale, une hausse des allocations familiales est annoncée en parallèle.

«Après le 9 février, il s’agit de donner un signal clair à nos entreprises. Il y aura un avenir pour elles dans ce canton» : cette profession de foi n’émane pas d’un représentant du Centre patronal, mais du président du Conseil d’Etat, le socialiste Pierre-Yves Maillard, qui défend une baisse massive de l’imposition des entreprises, de concert avec son collègue PLR Pascal Broulis (RTS, 9 avril 2014). L’imposition globale (Confédération, canton, commune) sur le bénéfice net des entreprises sous forme de société anonyme est de 22,3 % aujourd’hui. Le Conseil d’Etat annonce un taux à 13,8 % d’ici 2020, soit proche de ceux des paradis fiscaux de Zoug (13,2 %) et de Schwyz (13,9 %). Si le taux vaudois avait déjà été baissé d’un quart entre 1991 et 2011, la majorité rose-verte du Conseil d’Etat se retrouve donc aujourd’hui à l’avant-garde de la concurrence fiscale effrénée que se livrent les cantons.

Cette mesure était réclamée depuis plusieurs mois par le Centre patronal et la Chambre du commerce et de l’industrie, comme réaction à la fin probable des statuts spéciaux pour les entreprises étrangères de type holding ou sociétés de domicile, sous pression de l’Union européenne (UE). La réponse de la bourgeoisie suisse et de ses re­pré­sentant·e·s politiques aux exigences de l’UE est ainsi assez simple : si les statuts spéciaux ne sont plus tolérés, accordons le même traitement de faveur à toutes les entreprises… tout en maintenant ces mêmes statuts le plus longtemps possible (voir ci-contre). Dans ce contexte, en 2012, le ministre des finances du canton de Genève avait également annoncé un taux unique de 13 %?; ironie de l’histoire, le grand argentier vaudois Broulis reprochait alors à demi-mot au gouvernement genevois un dumping fiscal trop agressif.

 

Compromis ou arnaque?

Les conséquences de cette baisse de l’imposition des entreprises pour les collectivités publiques, en particulier les communes – qui n’ont pourtant pas été consultées – seront substantielles, de l’ordre de 450 millions par année, dont 60 millions pour la seule ville de Lausanne. Ce dernier chiffre représente presque dix points de l’impôt communal sur les personnes physiques ou encore la totalité du budget des crèches et garderies de la capitale vaudoise.

Pour faire avaler cette pilule, une hausse de 100 millions des allocations familiales à la charge des employeurs, de 230 à 280 francs par enfant et de 300 à 380 pour les jeunes en formation, est annoncée en parallèle. Cette mesure compensatoire serait complétée par une hausse des subsides d’assurance maladie et un soutien à l’accueil de jour pour un montant de 50 millions. Ce paquet déjà très déséquilibré (450 millions pour les entreprises, 150 millions pour les allocations, les subsides et l’accueil de jour) le deviendra davantage encore dans les années à venir. En effet, si les allocations resteront inchangées en dépit de l’inflation ou de la croissance économique, la baisse d’impôt pour les entreprises, exprimée en pourcent, prendra une importance de plus en plus grande avec le temps.

De plus, s’il est certain que cette baisse d’impôt sera acceptée par la majorité de droite du Grand Conseil, la hausse des allocations familiales est déjà contestée. Le président du groupe PLR au parlement demande en lieu et place une baisse de l’imposition sur les personnes physiques, ce qui représenterait un cadeau supplémentaire pour les hauts revenus. Le «bon compromis» vanté par Maillard risque ainsi de se transformer en une arnaque sur toute la ligne. Si la gauche doit certes défendre la hausse des allocations familiales, les subsides LAMAL et l’accueil de jour, il faut refuser tout accord avec la droite sur une baisse de l’imposition des entreprises, qui sera payée en dernière instance par la population.

 

Hadrien Buclin

 


 

Exonérations fiscales envers et contre tout

 

Si le taux d’imposition sur le bénéfice est aujourd’hui de 22,3 % dans le canton de Vaud, les multinationales étrangères peuvent bénéficier de taux beaucoup plus bas, une pratique contestée par l’UE. Parmi ces statuts spéciaux, on trouve notamment les exonérations fiscales temporaires, octroyées pour 5 ans, reconductibles 5 ans supplémentaires. L’octroi de ces exonérations s’inscrit dans une politique agressive de démarchage des grandes entreprises étrangères, menée par le Service de la promotion économique du canton. L’opacité la plus grande règne autour des sommes en jeu, à l’ombre du secret fiscal et du secret des affaires. Un coin du voile a toutefois été levé en 2012, lorsque le Contrôle fédéral des finances a reproché au Conseil d’Etat son laxisme dans les critères d’octroi de ces exonérations. Le géant minier brésilien Vale, domicilié à St-Prex, s’est ainsi vu réclamer 212 millions d’arriérés d’impôt après un recours des autorités fiscales fédérales. Rien n’indique que les autorités vaudoises aient modifié leur politique depuis lors. En juin 2012, le Conseil d’Etat publiait une circulaire énumérant les conditions d’octroi de ces privilèges fiscaux, s’empressant d’ajouter qu’il était possible de «déroger aux principes et aux critères mentionnés […] en relation avec les perspectives conjoncturelles ou pour toute autre raison jugée pertinente.?»

Le rapport 2013 de la commission de gestion du Grand conseil indique que depuis 2006, sur les 329 demandes d’exemption déposées, 273 ont été octroyées. En prenant la défense du taux unique à 13,8 %, Maillard soulignait il y a quelques jours qu’en contrepartie, les statuts fiscaux spéciaux disparaitraient. Dans le 24 Heures du 24 avril, son collègue Broulis affirme pourtant que les exonérations temporaires seront maintenues envers et contre tout. Le «bon compromis» passé entre les deux ministres a-t-il déjà été piétiné par la droite ?

HB