Egalité des chances: valoriser les passerelles

Egalité des chances: valoriser les passerelles


A fin juin, 3500 élèves genevois ont achevé leur 9ème année de scolarité obligatoire. Il ont terminé ainsi à l’âge de 15-16 ans une période d’étude dénommée «Cycle d’orientation».



Plus de 60% de ces élèves vont continuer leurs études au Collège ou à l’Ecole de culture générale (ECG), 25% vont commencer une formation professionnelle, en école à plein temps ou en apprentissage dual, 7% vont entrer dans une structure de préparation à une formation professionnelle, 3.6% vont doubler la 9ème, moins d’1% iront dans une école privée, enfin 139 élèves ne seront plus scolarisés dans une école genevoise, ce qui peut signifier un départ du canton ou éventuellement un «petit boulot».



Mais chaque année, malgré tous les efforts des maî-tres de classe et de l’équipe psycho-sociale, un certain nombre d’élèves «échappent aux mailles du filet» mis en place par le Cycle et se retrouvent sans insertion… Ces chiffres datent de 1999, mais restent représentatifs pour la volée de 2002. Ils ont été publiés dans un rapport du Service de la recherche en éducation sur la «transition entre le secondaire I et le secondaire II».1

Multiples changements d’orientation


L’équipe de recherche a analysé les changements d’orientation qui vont se vivre durant l’année suivante et on peut voir, chiffres et graphiques à l’appui, comment une sélection élitaire se met en place. Plus de 17% des élèves de cette volée vont changer d’école entre la première et la deuxième année de secondaire II. Le Collège va en éliminer environ 200 sur les 1670 admis et n’en recevra qu’un nombre infime, alors que l’ECG et l’Ecole de commerce (EC) sont au centre des réorientations. Ces deux écoles voient partir plus d’une centaine d’élèves et en intègrent à peu près autant issu-e-s du Collège principalement et pour l’ECG, également issu-e-s de l’EC. Les écoles professionnelles reçoivent aussi des élèves qui ont suivi un ou deux ans dans une école du postobligatoire.



Au niveau des formations professionnelles, 30% des jeunes changent d’orientation après une première année. On peut analyser positivement ces multiples possibilités de changement qui permettent aux jeunes de vivre concrètement différentes orientations avant de trouver la formation adéquate. Cependant, un certain nombre de jeunes cessent leur formation à chaque étape du cursus scolaire et finalement peu d’entre eux la reprennent après une interruption temporaire. Sur 100 élèves sorti-e-s de 9ème, dix se re-trouvent non scolarisé-e-s deux ans plus tard (un petit nombre pourrait être scolarisé à l’étranger). L’activité professionnelle sans qualification est aussi possible car bien souvent il y a du retard scolaire et ces élèves sont assez âgé-e-s. On remarque des différences énormes entre les élèves promu-e-s des sections gymnasiales et non-promu-e-s de 9ème générale et 37% de cette dernière catégorie d’élèves, soit 72 jeunes se retrouvent sans rien deux ans après leur sortie du Cycle. Ce pourcentage trop important alerte sur les difficultés des jeunes en échec scolaire à la fin de la 9ème.



Traditionnellement, l’apprentissage devait absorber les élèves «non ou peu scolaires». Actuellement, les exigences d’entrée en apprentissage sont telles que certaines formations (banques, laboratoires) n’entrent même pas en matière avec les élèves de 9ème géné-rale, et parfois seulement avec les élèves ayant réussi un dixième degré au Collège. Les formations professionnelles deviennent toujours plus exigeantes et le modèle «bon patron qui joue le rôle d’éducateur» est devenu un mythe.

Des parcours complexes


Philippe Butscher, maître de classe de 9ème depuis une douzaine d’années voit de moins en moins d’élèves signer un contrat d’apprentissage. Une ou deux, voire aucune par classe ces dernières années. D’après le rapport du SRED, moins de 5% des élèves entrent dans un apprentissage dual (pratique en entreprise et théorie à l’école) juste à la fin de la 9ème. Or actuellement, tant le département de l’instruction publique (DIP) du Canton de Genève que la Confédération font la promotion de l’apprentissage et des métiers techniques et manuels… Cet enseignant, et il n’est pas seul de cet avis, estime que ce battage médiatique relève de la logique libérale: on veut faire croire que les voies manuelles et scolaires sont égalitaires. Alors qu’en réalité, le fossé entre conception et production s’élargit toujours plus. C’est ainsi que la Cité des métiers, à Palexpo en novembre 2001, a déboussolé beaucoup de jeunes: on les a bercé-e-s d’illusions en leur faisant croire qu’il y avait de multiples possibilités professionnelles par apprentissage, sans leur montrer les autres voies. Pour les élèves originaires d’autres pays, permis B, requérant-e-s d’asile ou sans-papiers, l’apprentissage est tout simplement inaccessible. On les a bombardé-e-s d’informations de type publicitaire, plutôt que d’augmenter les prestations des maîtres de classe qui donnent des informations ciblées selon les besoins des élèves ou des psychologues qui suivent individuellement les jeunes tout au long de leur parcours d’orientation souvent complexe. Philippe Butscher, conscient des illusions distillées par la nouvelle grille horaire du Cycle d’orientation, préfère s’investir dans l’Ecole de culture générale, une «école superbe» qui repêche les jeunes exclu-e-s tant du Collège que de l’apprentissage. Il estime que la plupart des élèves de cette école, qui ont le projet de s’orienter vers des professions sociales, para-médicales ou artistiques, sont particulièrement ouvert-e-s au monde et aux autres.



Heureusement qu’il existe cette voie médiane, entre l’exclusion et la carrière élitaire, ainsi que certaines «passerelles» (pré-apprentissage, classes préparatoires). Il s’agit de les défendre et de les valoriser, avant que le rouleau compresseur néo-libéral n’écrase tout.



Maryelle BUDRY

  1. Rapport d’Annick Evrard et François Rastoldo, avec la collaboration de Marina Decarro, SRED, décembre 2001 «Situations scolaires en 1999/2000 et 2000/2001 des élèves ayant terminé la 9ème du Cycle d’orientation en juin 1999.»