Tamiflu: un médicament inutile?

Tamiflu: un médicament inutile? : Pas pour les actionnaires de Roche

L’article du prestigieux « British Medical Journal» (BMJ), publié le 10 avril présente une étude du groupe Cochrane (experts indépendants) qui met en cause l’utilité de l’antiviral « Oseltamivir », connu sous son nom commercial « Tamiflu », et dénonce une opération de pur profit. Ce nouveau scandale concernant l’industrie pharmaceutique, Roche en particulier, met en évidence la cupidité comme moteur principal de Big Pharma.

Alors que cette classe de médicaments antiviraux connus n’avait eu aucun succès en raison de son efficacité très limitée, Roche a réussi un coup de « marketing » de 11,5 milliards d’euros, en vendant d’énormes quantités de son produit, directement aux gouvernements, sous prétexte de prévenir une menace de pandémie du virus grippal mal connu A H1N1, défendant que le Tamiflu était le seul remède efficace contre certaines complications, comme la pneumonie. La Suisse en a acheté pour 4 millions de francs (Confédération et cantons), «et si c’était à refaire, on le referait», confiait à la presse D. Koch, le responsable de la division des maladies transmissibles de l’Office fédéral de la santé publique, probable victime du virus « Roche influenza »… Du côté de Swissmédic, l’agence de contrôle des médicaments, les propos sont plus nuancés, mais il n’est pas question de remettre en cause le principe de précaution avec des réserves obligatoires de Tamiflu en cas de pandémie.

 

Une imposture?

Or, selon les auteurs de l’étude récente du groupe Cochrane, sur la base de données cliniques très modestes, Roche a vendu des millions de comprimés de cette molécule qui n’ont aucun effet préventif démontré, ni sur les symptômes graves, ni sur la mortalité. De plus, le coordinateur de cette enquête approfondie, Tom Jefferson, met l’accent sur les effets secondaires sévères du Tamiflu (nausées, vomissements, troubles psychiques), négligés par l’industrie pharmaceutique. En résumé, aucune preuve d’efficacité, mais des effets négatifs bien réels. Il aura fallu quatre ans de vives batailles pour que Roche accepte de publier quelques données, menacé de poursuites judiciaires par certains gouvernements. Évidemment, le géant pharmaceutique suisse se défend en brandissant de nouvelles études favorables à sa cause, accusant même le groupe Cochrane – comble d’arrogance ! – d’inexpérience.

La polémique autour du Tamiflu remonte à plusieurs années, avec les premières publications du British Medical Journal mettant en cause l’efficacité de cette molécule : 48 heures après le début de l’infection, le médicament n’a pas plus d’effet qu’un placebo. Mais le lobbying de Big Pharma est d’une telle puissance, que ni l’OMS, ni l’Union Européenne, n’ont mis en place des procédures pour exiger une transparence accrue du milieu très fermé des « laboratoires » pharmaceutiques.

Dès les années 30, mais surtout après la seconde guerre mondiale, ces sociétés ont acquis une dimension internationale, avec l’industrialisation de la production des antibiotiques. Avec le développement des blockbusters, des molécules qui garantissent un chiffre d’affaire annuel dépassant le milliard de dollars, seules une vingtaine de firmes se sont imposées comme multinationales du secteur, générant actuellement un chiffre d’affaires de plus de 1 000 milliards de dollars par an, qui a triplé en quinze ans.

 

Big Pharma, un danger pour la santé

Dans son récent livre Big pharma: une industrie toute puissante qui joue avec notre santé, Les Arènes, 2013, Mikkel Borch-Jacobsen décrit le marketing cynique de molécules dangereuses, les essais cliniques manipulés ou dissimulés à cause de mauvais résultats, des « experts » liés à des conflits d’intérêts, des agences sanitaires complaisantes ou passives, des systèmes de pharmacovigilance (surveillance) peu réactifs, une information médicale sous influence, des carences éthiques graves. De nombreux témoignages et documents avaient déjà attiré l’attention depuis deux décennies sur ces pratiques inacceptables, dont les principaux scandales ont été réglés par des arrangements financiers.

Le Dr Bernard Dalbergue, un médecin employé pendant des années pour Big Pharma, dénonce lui aussi son comportement sans scrupule dans son récent livre : Omerta dans les labos pharmaceutiques, Flammarion, 2014. Glaxo Smith Kline (GSK), l’un des géants de la branche, a dû verser 90 millions de dollars pour mettre fin à des poursuites pour son dangereux antidiabétique «Avandia» et 150 millions de dollars pour pratique abusive. Boehringer-Ingelheim a payé 95 millions de dollars pour marketing illégal. Eli-Lilly a fait cesser une enquête pour corruption en payant 29,4 millions de dollars. Sans parler du Diovan, antihypertenseur de Novartis, médicament dont le chiffre d’affaires a atteint 6 milliards de dollars en 2010, qui a été dénoncé pour ses effets dangereux.

 

Une seule solution: le contrôle public

Il y a eu de nombreuses affaires (Vioxx, Mediator), où l’industrie pharmaceutique avait « ignoré » des effets secondaires dangereux. Il y a aussi les médicaments dont le bénéfice est très marginal pour les malades, comme l’anticancéreux Erbitux, mais qui rapportent gros. Le Tamiflu en est la caricature: zéro effet, gros profits. En 2008, Jörg Blech avait déjà dénoncé les aspects les plus choquants de ces pratiques dans Les inventeurs de maladies: manœuvres et manipulations de l’industrie pharmaceutique, Actes Sud.

A l’heure où les multinationales tentent d’imposer leur loi à l’aide d’accords internationaux négociés en secret pour contrer les faibles velléités des gouvernements d’exercer le moindre contrôle de leurs activités, et surtout pour leur faciliter l’accès à de nouveaux marchés et réduire la place et le rôle du secteur public, il y a urgence pour la société civile de se battre pour le contrôle public de la recherche, de la production et de la vente des produits pharmaceutiques. Nous devons mettre un terme aux dégâts sociaux et environnementaux provoqués par ces géants. Les médicaments doivent être considérés comme un bien commun et leur production assurée par le secteur public, afin de garantir des recherches orientées vers les besoins sociaux les plus urgents, à des prix qui en garantissent l’accès pour toutes et tous.

Il n’y a qu’un seul remède efficace contre la nocivité de l’industrie pharmaceutique : son contrôle public !

 

Gilles Godinat