Ukraine

Ukraine : Crise internationale et enjeux internes

Pendant que Poutine prépare son référendum en Crimée par une militarisation complète de la presqu’île, les USA préparent des manœuvres navales et l’OTAN envoie ses avions-espions?; l’ONU s’agite et les diplomates voyagent. La sortie de crise ne semble pas à portée de main. Réduire la crise ukrainienne à une réplique de la Guerre froide passe toutefois à côté d’une bonne partie de la réalité. Pour mieux la comprendre, nous publions ci-dessous des extraits d’un entretien avec Vasy Cherepanin, responsable du Centre de recherche Culture visuelle et animateur du « Maidan de gauche ».

Quel a été le rôle des syndicats pendant Maidan?

 

VC: La fédération syndicale officielle était du côté des autorités, mais la fédération syndicale indépendante était dans le mouvement. La direction de la fédération syndicale était dans le conseil de Maidan. Il y a eu un appel à la grève générale, mais elle n’a pas eu lieu : les usines et les industries sont dans les mains des oligarques, et ils ont cassé toute tentative pour organiser des grèves. Il y en a cependant eu quelques-unes à l’ouest et dans le centre de l’Ukraine, principalement dans le secteur des employés. Je pense que si nous avions réussi à organiser une grève générale, le mouvement aurait été encore plus massif et moins violent.

 

 

La situation en Ukraine a été analysée comme une division en deux du pays, les pro-­européens contre les prorusses. Dans ce contexte, les propositions de transformer le pays en fédération et la récente décision du Parlement de ne pas reconnaître le russe comme langue officielle ont donné l’impression d’un pays profondément divisé?

 

La décision prise par le Parlement de faire du russe une langue officielle était en fait inconstitutionnelle, la Constitution disant clairement que seul l’ukrainien est la langue officielle. Cependant, même si la décision de 2012 était anticonstitutionnelle, je pense que la récente décision du Parlement a été une erreur, et celui-ci est d’ailleurs en train de revenir sur cette décision. Il est important de rappeler que plus de 50 % des participants à Maidan étaient russophones.

De façon plus générale, le discours sur les « deux Ukraines » était populaire dans les années 1990, juste après l’indépendance quand des intellectuels théorisaient la division historique de l’Ukraine, l’Ouest dans l’empire austro-hongrois et l’Est dans l’empire russe. Cependant, dès les années 2000, cette idée n’a pas passé le test de la réalité : l’Ukraine est restée unie et Maidan l’a prouvé.

Maidan a eu lieu dans tout le pays, pas seulement à Kiev, mais aussi à Odessa, Kharkov, Donetsk et même à Sébastopol, en Crimée. En janvier, nous avons eu des actions pour nous saisir des immeubles administratifs dans toute l’Ukraine. A l’est, où le parti de Ianoukovitch, le Parti des Régions, contrôle toutes les institutions étatiques, la répression a été féroce : les militants ont été attaqués par les forces spéciales et il y a eu des kidnappings, de la torture, des fusillades.

Je pense que le régime a avancé l’idée de fédération quand il a perdu le contrôle de la situation : cela a été une tentative désespérée de garder le pouvoir. La réalité est que le peuple ukrainien est plus préoccupé par les questions sociales et économiques que par les mythes culturels qui ont été un instrument de propagande contre notre unité.

 

 

Et comment vois-tu la situation actuelle en Crimée?

 

L’histoire de la Crimée est spécifique. La Crimée a un statut de république autonome dans l’Ukraine et elle représente une valeur stratégique immense pour la Russie. Pendant des années, la Russie a financé des organisations prorusses, y compris certaines qui se présentent comme d’extrême gauche et utilisent un discours radical dans leur propagande.

Mais sur un plan basique, l’occupation militaire de la Crimée est un putsch : une contre-­révolution contre le mouvement. Ce qui est arrivé en Ukraine est le pire des cauchemars pour Poutine : il a besoin d’utiliser tous les moyens – de la propagande à l’intervention armée – pour discréditer l’alternative politique en Ukraine, y compris l’alternative de gauche (et par extension la discréditer en Russie elle-même). Mais la réalité est que la situation en Ukraine est maintenant hors du contrôle de la Russie.

 

 

Qu’est-ce que la gauche, en Europe et au-delà, devrait faire maintenant?

 

[…] La gauche doit être mieux informée et plus active. La gauche ne doit pas répéter la propagande de Poutine qui dit que les fascistes occupent Maidan. La gauche doit prêter plus d’attention au contexte et comprendre que Maidan a été un vrai mouvement social et que l’Ukraine a fait une vraie révolution.

 

 

Et pour la gauche en Ukraine?

 

Il y a maintenant un nouvel espace politique dans lequel la gauche peut être plus visible et plus influente. Auparavant, la vie politique était monopolisée par les néonazis et les oligarques. Cela a en partie changé.

Maintenant la force active, c’est le peuple ukrainien. Maidan a été la preuve que les masses étaient le vrai moteur du progrès et de la révolution. La gauche ne peut pas rester comme elle l’était : élitiste et sectaire. Nous devons maintenant être plus inclusifs et travailler avec les larges masses. Nous avons à ouvrir nos perspectives, de les maintenir dans la réalité et nous engager dans toutes les questions sociales possibles. Plus que le contenu, la forme de notre activité est vraiment importante.

Bien sûr, nous devons construire de nouvelles plates-formes comme des centres sociaux, et institutionnaliser quelques initiatives issues de Maidan. Mais plus que tout, la gauche doit sortir et écouter le peuple. Toute défaite de la gauche serait une victoire pour l’extrême droite. Nous devons écouter ce que veut le peuple et ne pas seulement prêter attention aux idoles du passé. L’absence de pratique politique peut créer des hallucinations théoriques…

 

Propos recueillis par Christophe Aguiton (Attac,

France) et Nicola Bullard (Post Globalization Initiative). Coupures de la rédaction.