«La Lonza doit payer»

Entretien avec Martin Forter, directeur de Médecins en faveur de l’environnement 

Le mercure qui a été épandu dans les terres peut-il être ingéré, par exemple par des enfants qui jouent avec la terre, ou inhalé par ceux et celles qui travaillent ces terres (terrassement, travaux agricoles, jardinage, etc.)?

Oui, c’est possible. Le plus grand risque c’est la poussière. Il est donc nécessaire de procéder à des études de risque pour, par exemple, les travailleurs qui sont en contact avec ce produit.

 

On fait souvent référence à la maladie de Minamata pour évoquer les conséquences de l’intoxication au mercure. A Minamata, le rôle des poissons, qui avaient concentré le mercure rejeté dans la mer avant d’être consommé, avait été essentiel dans la contamination des populations. Une transmission du mercure contenu dans le sol par le biais des plantes cultivées est-elle possible?

A Minimata, le procédé de production de l’acétaldéhyde était à peu près le même qu’à la Lonza. On pourrait imaginer que quelqu’un ne se nourrissant que de poissons du Léman puisse finir par être intoxiqué. Mais un cas unique n’est pas comparable à l’intoxication d’une population entière. S’agissant de la concentration du mercure par les plantes, il y a peu de connaissances à ce sujet. Certaines plantes peuvent être susceptibles de fixer le mercure, d’autres pas.

 

La déclaration du chimiste cantonal valaisan selon laquelle il n’y a pas de cas d’intoxication au mercure ne vous rassure donc pas?

Non, car des symptômes peuvent ne pas avoir été reconnus. Une enquête épidémiologique doit être menée pour s’en assurer.

 

L’Etat du Valais n’a visiblement pas de relevé cadastral du déversement des boues contenant du mercure. Il justifie cette absence de suivi par le fait que la Lonza avait cessé de produire de l’acétaldéhyde en recourant au mercure et que dès lors, comme il n’y avait plus de source de pollution, il n’y avait plus de pollution non plus. Cet argument vous semble-t-il recevable?

L’existence de ce mercure est problématique et l’Etat du Valais le sait. L’argument n’est donc pas recevable. La probabilité de retrouver du mercure dans la nature devait être prise en compte par les autorités. Aujourd’hui, il s’agit non seulement de prendre en compte les sites de décharge, mais bien toutes les zones susceptibles d’être contaminées. Pour ce faire, la publication de l’ensemble des documents, rapports, etc. par la Lonza est nécessaire. Pollueuse, la Lonza doit payer. L’entreprise est en effet responsable d’avoir laissé le mercure passer dans l’environnement, en particulier dans le Grossgrundkanal. 

 


Pollution au mercure en Valais

On savait depuis la fin des années 70 au moins que la Lonza utilisait le Rhône, et donc le Léman, comme déversoir pour le mercure utilisé dans sa production. Dotée d’une nouvelle station d’épuration et d’une nouvelle installation, l’usine avait, semble-t-il, cessé d’émettre ce polluant. Tout allait donc pour le mieux. Sauf que…

Sauf que, bêtement, personne ne s’était soucié du mercure accumulé dans les sédiments des canaux d’irrigation et en particulier dans le Grossgrundkanal, en aval de Viège. Et en tout cas pas l’entreprise…

Ces boues et sédiments ont donc été utilisés comme matériel d’épandage et de remblai dans la région, jusqu’à la fin des années 90, avant d’être placés dans des décharges. Le Service de protection de l’environnement du canton s’est alors aperçu que certains terrains contenaient des taux de contamination inacceptables.

Evidemment, dans la région, l’histoire de la Lonza et de son mercure rappelle celle d’Alusuisse et de son fluor (voir encart). Même politique de dénégation de l’entreprise, même refus d’assumer les coûts de ses actes, puisque la Lonza estime qu’il n’est pas de sa responsabilité de prendre en charge la dépollution de ces terres. L’entreprise avait commencé par n’admettre qu’un rejet total de 28 tonnes dans la Grossgrund-kanal. L’organisation des Médecins en faveur de l’environnement (MfE), à partir de documents interne et de témoignages, évaluait les quantités déversée entre 200 et 250 tonnes. Aujourd’hui la Lonza a revu à la hausse ses chiffres, passant à 50 tonnes. MfE maintient pour sa part son estimatin. Nous publions ci-dessous un bref entretien avec le directeur de cette organisation, Martin Forter, géographe et spécialiste des sites contaminés. 

DS


Le précédent D’Alusuisse et du fluor

Durant des décennies, la production d’Alusuisse dégagea dans l’air plus de 10 kg de fluor par tonne d’aluminium produite, une production qui culmina à 940 000 tonnes brutes par an dans les années 70. Les dégâts (intoxication au fluor pour les hommes, le bétail et les végétaux) ne tardèrent pas à se faire sentir. Alusuisse, mis à part quelques indemnisations ici ou là, adopta une stratégie de dénégation de sa responsabilité, d’achat du silence des plaignants et de développement d’un réseau d’experts dévoués. Jusqu’à ce que l’entreprise tombe sur un os, l’Association des cultivateurs de Saxon, région combative, dont les récoltes d’abricots souffraient des émanations de fluor. Leur Association de défense publiera un dossier accusateur, auparavant précédé du numéro spécial (no 71) de  La Brèche, l’organe de la Ligue marxiste révolutionnaire, intitulé Alusuisse – la violence des pollueurs (15.7.1975) Le supplément déboulonnait en particulier l’un des experts souvent cité par Alusuisse, le professeur Paul-Emile Pilet, directeur de l’Institut de biologie et de physiologie végétales. Les recherches de ce dernier étaient en effet en partie financées par le pollueur. Voici ce que dit de cette édition spéciale l’un des principaux acteurs, le cultivateur François Piot, dans ses souvenirs : «Celle-ci, publiée par l’extrême gauche, a toute sa valeur, car aucun élément n’a été censuré dans ces écrits. Lors de notre voyage en Maurienne, j’avais pris plusieurs exemplaires que j’ai distribué.?» (Baroud de surive, les Ed. d’en bas, 2010, p. 42). Sous la pression (dont l’explosion de la ligne à haute tension près de Saxon, le 16 avril 1980), Alusuisse finira par réduire ses émissions de fluor.