États-Unis

États-Unis : Défaite-choc du mouvement ouvrier chez VW dans le tennessee

La défaite du syndicat UAW (United Auto Workers) par 712 contre 626 voix lors d’un vote sur la représentation syndicale dans l’usine Volkswagen à Chattanooga au Tennessee a secoué le mouvement ouvrier aux USA.

 

Les partisans du syndicat comptaient l’emporter. La majorité des travailleurs avaient signé des cartes demandant une représentation syndicale. VW avait signé un accord de « neutralité » acceptant de laisser les sa­la­rié·e·s exprimer librement leur choix dans un vote supervisé par les pouvoirs publics. Ainsi, cette défaite syndicale, applaudie par les républicains, les médias conservateurs et les milieux d’affaires, a entraîné de douloureuses réflexions au sein du mouvement syndical.

Les syndicats espéraient qu’une victoire chez VW à Chattanooga (Tennessee) représenterait une tête de pont syndicale dans le Sud des USA. Les syndicats du pays ne représentent aujourd’hui que 11,3 % des sa­la­rié·e·s et juste 6,7 % dans le privé. Pourquoi le syndicat a-t-il perdu ? Comment cela a-t-il pu si mal se passer ?

Le Sud des USA bien sûr, avec son histoire d’esclavage afro-­américain jusqu’en 1856, suivi du système de privations de droits, de ségrégation raciale et de péonage par endettement de 1890 aux années 1960, est resté historiquement une région conservatrice, à bas salaires et à faible implantation syndicale. Juste après la 2e Guerre mondiale, les syndicats ont annoncé une campagne de syndicalisation du Sud, mais ils ont vite reculé, après être entrés en conflit avec l’aile sudiste du parti démocrate, parti de l’homme blanc raciste (comme on le désignait parfois), qui contrôlait alors la région. Le Sud est devenu une zone d’open shops, la loi interdisant de faire de l’affiliation syndicale une condition d’emploi.

C’est pourquoi les fabricants automobiles, indigènes ou étrangers, ont déplacé tant de leurs usines au Sud. Contrôlée politiquement par les républicains depuis l’élection de Nixon en 1968, dominée culturellement par un christianisme évangéliste envahissant, influencée encore par des attitudes racistes de longue date, la région reste très résistante à la pénétration syndicale, malgré une industrialisation importante depuis les années 1980. L’élection chez VW à Chattanooga, avec sa « neutralité » de l’employeur, semblait une belle occasion de changer les choses. Alors pourquoi cette défaite ?

Il y a deux réponses : la campagne réussie de certains politiciens d’un côté, de l’autre un échec de la direction syndicale. Alors que VW était neutre, les secteurs politiques dominants se sont engagés. Le gouverneur républicain Bill Haslam est intervenu contre l’UAW. Le sénateur Bob Crocker a averti que si les sa­la­rié·e·s votaient pour le syndicat, la compagnie délocaliserait le travail. Ils ont affirmé qu’un vote prosyndical saperait l’attractivité de Chattanooga et de tout le Tennessee pour les entreprises, conduisant à une baisse d’investissements et à moins d’emplois.

 

L’échec du syndicat

Bob King, président de l’UAW, conscient du sentiment antisyndical dans la région, a adopté une approche conservatrice envers les travailleurs et travailleuses du Sud. Sa stratégie d’organisation reflétait l’approche traditionnelle de ce syndicat envers les entreprises de la branche, soit la collaboration. Il n’a pas appelé à la lutte contre la compagnie, pour renforcer le pouvoir des travailleurs et améliorer leurs salaires et conditions de travail. Il a appelé à la coopération entre entreprise et syndicat. Avant l’élection, King déclarait :

«VW est connu dans le monde pour son système de coopération avec les syndicats et les conseils d’entreprise. L’UAW aspire à un partenariat avec le Volkswagen Group of America et le conseil d’entreprise pour créer une norme innovante aux USA en matière de relations travailleurs-­direction qui profite à la compagnie, à l’ensemble de sa main d’œuvre, aux actionnaires et à la collectivité.?»

Des organisations antisyndicales ont su tirer part des discours de l’UAW sur le partenariat pour dire que patron et syndicat s’entendaient sur les dos des sa­la­rié·e·s pour imposer d’en haut des conseils d’entreprise et un syndicat. Grandes compagnies et grand syndicat s’entendant ainsi sur le dos des petites gens.

L’UAW souffrait aussi d’une réputation ternie, au cours des dernières décennies, mais surtout depuis 2008, par la négociation de contrats collectifs « à deux vitesses » dans lesquels les arrivants dans l’entreprise reçoivent des salaires diminués de moitié par rapport à ceux des salarié·e·s en place. Comme la journaliste syndicale Jane Slaughter l’écrivait en 2003 dans Labor Notes, «Les nouveaux contrats signés par l’UAW avec les trois grands fabricants d’automobiles et leurs deux plus gros fournisseurs signalent l’acceptation assumée d’un système à deux vitesses.» Ce système n’a représenté qu’une baisse de salaires pour des dizaines de milliers de nouveaux salarié·e·s, il a aussi divisé les employés et fourni aux directions un motif pour chasser les travailleurs ayant le plus d’ancienneté au profit de nouveaux engagés à meilleur marché. «Pourquoi aurais-je besoin d’un syndicat pour ça??» ont dû se demander des travailleurs.

Les critiques de la direction de l’UAW ont aussi pointé d’autres faiblesses de la campagne : par exemple, l’absence de construction de liens avec les communautés à Chattanooga. Or les syndicats sont forts quand ils ne représentent pas les seuls ouvriers dans l’usine, mais aussi les communautés ouvrières dont ils viennent. Il y a aussi le fait de ne pas avoir travaillé en allant parler aux gens chez eux, comme le font la plupart des syndicats aujourd’hui. On parle en effet plus franchement à domicile que sous la surveillance de ses chefs. L’UAW n’a pas non plus su s’élever contre les interventions antisyndicales de cadres chez VW, en violation de l’accord sur la neutralité de l’entreprise. Si VW était neutre, le syndicat n’a pas su forcer le patron à tenir en laisse ses cadres et chefs anti­syndicaux.

Pour que les syndicats étasuniens réussissent à organiser les travailleurs et travailleuses, dans le Sud, mais aussi dans tout le pays, ils devront trouver une stratégie ne s’appuyant pas sur une alliance avec les patrons, mais sur la solidarité et les luttes de la classe ouvrière. 

 

Dan LaBotz