La majorité des Suisses sont-ils xénophobes?

L'acceptation de l’initiative « Contre l’immigration de masse » par 50,3 % du corps électoral représente un succès important pour l’UDC et la politique migratoire qu’elle préconise, fondée sur la préférence patronale, la limitation des droits des mi­grant·e·s, le racisme d’Etat, entendu comme «défense de l’identité nationale contre une altération excessive», ainsi que l’autonomie de décision des autorités suisses et la renégociation des traités internationaux.

La préférence patronale est au cœur de cette initiative, qui fait dépendre l’admission d’un salarié·e étranger des «intérêts économiques globaux de la Suisse». Cet accent sur les besoins des employeurs explique qu’une partie d’entre eux ont soutenu l’initiative. Au sein de la faîtière des PME, l’Union suisse des arts et métiers (USAM), les opinions étaient loin d’être unanimes?; rappelons que son président, Jean-François Rime (UDC), y était favorable et que sa section argovienne recommandait même le oui. Quant à Thomas Minder, présenté comme le champion des petits actionnaires contre les super-managers, il l’a aussi appuyée. De son côté, Blocher expliquait que le retour à des contingentements n’était pas cher payer pour la poursuite de la libéralisation de l’un des marchés du travail les plus dérégulés d’Europe.

Les syndicats et le Parti socialiste, qui avaient plébiscité l’Accord de libre circulation des personnes avec l’UE en cautionnant des «mesures d’accompagnement» dérisoires, étaient peu crédibles en matière de lutte contre le dumping salarial et social. Si bien que le retour à un système de plafonds et de contingents, auxquels le mouvement ouvrier avait participé jusqu’en 2001, a pu être perçue comme une « solution » du moindre mal pour nombre de sa­la­rié·e·s qui espéraient ainsi améliorer leur position sur le marché du travail. Il ne faut cependant pas exagérer la spécificité suisse en la matière : vu la gravité de la crise en cours, un sondage IFOP du 15 février indique que les Français·es n’auraient pas voté autrement…

En 1964, Max Frisch écrivait : «Nous avions demandé des bras et ce sont des hommes qui sont venus». Or, l’initiative de l’UDC permet précisément de revenir sur les maigres droits «au séjour durable, au regroupement familial et aux prestations sociales» obtenus entre-temps par les im­migré·e·s. Le texte de l’initiative ne s’en cache pas, qui permet de réintroduire le statut de saisonnier, de s’opposer au regroupement familial et de priver une catégorie de salarié·e·s de protection sociale, au nom de la lutte «contre les abus». Il s’agit de réduire les coûts de la main-d’œuvre, de diviser les travailleurs et les travailleuses, et de jouer sur la montée des sentiments xénophobes.

Il ne faut pas en effet négliger la dimension raciste du vote du 9 février dernier. Rappelons qu’en novembre 2009, 57,5 % des vo­tant·e·s et 19,5 cantons sur 23 plébiscitaient l’interdiction de la construction de minarets, défendue par l’UDC, contre tous les autres grands partis, syndicats et re­pré­sen­tant·e·s des communautés religieuses. Tapant sur le même clou, le parti de Blocher a cette fois-ci collé une affiche figurant une femme en burqa et intitulée : «Bientôt 1 million de musulmans? Par conséquent: Stop à l’immigration de masse»

Le triomphe de l’UDC n’est pas sans rapport non plus avec la montée d’un sentiment anti-européen, l’UE étant perçue comme le fer de lance de politiques suscitant récession économique, explosion du chômage et crise sociale. L’UDC se retrouve certes dans les politiques d’austérité de Bruxelles, mais elle profite du discrédit de l’UE pour prôner le Sonderweg helvétique. D’ailleurs, l’Accord sur la libre circulation des personnes n’est pas le seul visé, puisqu’elle conteste aussi un ensemble de droits collectifs et individuels, «imposés» à Berne par le biais de conventions internationales (Droits de l’homme et de l’enfant, Conventions de Genève sur les réfugiés, etc.).

Nul ne sait comment les autres partis gouvernementaux, de concert avec l’UDC, vont traduire dans la loi les principes de l’initiative. Ils ont trois ans pour le faire. Une chose est sûre : leur marge de manœuvre est grande. Swissmem, l’association des industriels de la métallurgie et des machines, plaide pour des mesures light ; d’autres secteurs (bâtiment, hôtellerie, etc.) réclament des dérogations cantonales ou sectorielles. Et il faudra tenir compte encore des réactions européennes.

Les porte-paroles autorisés du patronat profitent du choc pour défendre des conditions-cadres plus favorables aux entreprises. Dans un édito du 15 février, le chef de la rubrique économique de la Neue Zürcher Zeitung, Peter A. Fischer, défendait la suppression des maigres mesures d’accompagnement liées à la libre circulation?; l’élimination du salaire minimum des conventions collectives et le rejet de l’initiative de l’Union syndicale suisse pour un salaire minimum légal?; la déréglementation et la privatisation à outrance?; ainsi que de nouveaux allègements fiscaux. En point de mire, la « Réforme de l’imposition des entreprises nº 3 », qui réduirait de 3 milliards de francs au moins les charges des personnes morales, cadeau compensé par une hausse de la TVA et une réduction des dépenses sociales.

Contre ce nouveau banco patronal, nous devons nous battre pour : l’inscription d’un salaire minimum de 4000 francs dans la loi et le renforcement des droits sociaux (maladie, invalidité, chômage, etc.)?; la fusion du 2e pilier avec l’AVS avec garantie des droits acquis?; l’inscription de salaires minimaux dans les conventions collectives et le contrôle renforcé de leur respect, notamment par les syndicats, sur les lieux de travail?; la protection légale des élu·e·s du personnel et contre les licenciements collectifs?; un large front commun pour faire échec à la « Réforme de l’imposition des entreprises nº 3 »?; une mobilisation permanente contre le racisme et l’islamophobie et pour la régularisation des sans-papiers. 

 

Jean Batou