Helvétiquement vôtre

Helvétiquement vôtre : Un nostalgique du «Sonderbund» - Christoph Blocher

Christoph Blocher

Lors de la Saint-Berthold (2.1.2014), l’ex-conseiller fédéral Christoph Blocher (SVP-UDC) a prononcé un éloge dithyrambique de Philipp Anton von Segesser von Brunegg (1817–1888), politicien conservateur-catholique lucernois : «Un courageux ‹Neinsager›, un démocrate, un fédéraliste, un vrai catholique» («Le Courrier», 11.1.2014). Comme d’habitude, Blocher omet des éléments gênants.

En effet, suite à ce discours, la revue israélite Tachles (5.1.2014) a rappelé que Philipp von Segesser s’opposa en 1866 à l’égalité des droits pour les citoyens juifs en Suisse, incluant les libertés religieuse et d’établissement (jusqu’ici réservées aux chrétiens par la Constitution de 1848). Avant de choisir aux 20e et 21e siècles d’autres boucs émissaires, la droite national-conservatrice était ouvertement antisémite. Deux exemples : en 1809, le canton d’Argovie avait retiré aux juifs les droits que leur avait donnés la République helvétique, des droits encore refusés par votation populaire en 1862. An niveau suisse, en 1893, une initiative lancée par les conservateurs put faire adopter un article constitutionnel proscrivant l’abattage rituel (pratique religieuse juive, mais aussi musulmane).

Un retour sur Von Segesser s’impose. Avant d’être le porte-parole des conservateurs au Conseil national (1848–1888), il fut secrétaire d’Etat du gouvernement conservateur-catholique lucernois (1841–1847). Ce gouvernement, présidé par Konstantin Siegwart-Müller, confia l’enseignement aux Jésuites (alors habiles propagandistes contre-révolutionnaires) et fut le promoteur du « Sonderbund » (1845–1847). Cette alliance de 7 cantons catholiques, opposés à la révision du Pacte ultra-fédéraliste de 1815, était appuyée par les monarchies autrichienne et française.

 

Une même vision du monde réactionnaire

Durant la guerre civile de 1847 – comme sous la République helvétique (1798–1803) – la religion servait d’argument politique. Or, l’armée du « Sonderbund » était commandée par un aristocrate protestant grison, Ulrich von Salis-Soglio. A Genève, les soldats catholiques (venant des localités incorporées en 1815) rejoignirent l’armée fédérale, mais plusieurs officiers aristocrates et protestants désertèrent.

A la lueur de ces faits, l’éloge prononcé à la Saint-Berthold s’explique : une même vision du monde réactionnaire unit le politicien conservateur-­catholique du 19e siècle et l’actuel châtelain de Rhäzuns (seigneurie autrichienne, enclavée dans les Grisons jusqu’en 1815). Qui se ressemble s’assemble ! 

 

Hans-Peter Renk