Solidarité internationale avec la Gauche russe

Notre journal s’est entretenu avec Ilya Boudraitskis, fondateur du Mouvement socialiste de Russie (RSD) dont il est l’un des porte-parole. Il revient ici sur les conditions de la répression en Russie. Une occasion pour nous de vous rappeler de participer au rassemblement de solidarité avec la gauche russe qui aura lieu à Genève le vendredi 24 janvier à 12 h?15 en face de la Mission permanente de la Fédération de Russie.

Comment expliques-tu la décision de Poutine de libérer Mikhaïl Khodorkovski, les Pussy Riot
et les militant·e·s de Greenpeace

 

Ces remises en liberté s’inscrivent dans une campagne pour « améliorer l’image » de la Russie à la veille des Jeux Olympiques d’hiver de Sotchi, et plus généralement face à la stagnation économique croissante d’un pays où les investissements se font rares. Les libérations des Pussy Riot et des militant·e·s de Greenpeace font partie d’une vague d’amnistie dans le cadre du 20e anniversaire de l’actuelle constitution russe. Au début de janvier dernier, environ 2000 personnes avaient été libérées, et les enquêtes criminelles de plusieurs centaines d’autres annulées. La plupart des personnes concernées n’avaient que des peines de prison de court terme, et n’avaient pas commis de crimes trop graves. Bien sûr, ces taux d’amnistie restent insignifiants si on les compare au nombre total de pri­son­niers·ères en Russie, qui s’élève à 800 000 (figurant ainsi au deuxième rang du pourcentage de prisonniers sur la population, derrière les Etats-Unis). Le système judiciaire continue d’envoyer chaque années des centaines de personnes en prison pour des crimes mineurs (usant souvent de fausses preuves pour le faire).

Huit personnes de l’« affaire Bolotnoe » ont également été relâchées. Celle-ci concerne des « désordres de masse » et des « violences contre la police », et constitue le plus important procès politique en Russie de ces dernières années. Plusieurs douzaines de personnes ont été arrêtées en 2012 – après la grande manifestation et les heurts avec la police à Moscou le 6 mai 2012, la veille du début du troisième mandat de Vladimir Poutine. Plusieurs des ac­cu­sé·e·s appartenaient à des groupes de la gauche radicale. La rhétorique de la «prévention contre l’extrémisme politique» a été récurrente tout au long du procès. Malgré l’importance politique des cas des Pussy Riot et de Greenpeace, celui de Bolotnoe était (et constitue toujours) le cas le plus emblématique, parce qu’il cible directement la scène de la gauche radicale russe dans son ensemble.

Il reste de très nombreux prisonniers politiques en Russie, notamment ceux de l’affaire Bolotnoe, comme le leader du front de gauche, l’une des figures médiatiques des protestations anti-Poutine de 2011-2012, Sergueï Oudaltsov, qui subit l’isolement depuis plus d’un an en tant que « prisonnier national »?; ou Alexeï Gaskarov, activiste antifasciste et écologiste, qui est en prison en prison depuis mai dernier.

L’ancien millionnaire Mihail Khodorkovski, que les médias mainstream occidentaux identifient comme le « prisonnier politique russe nº 1 » de la dernière décennie, a été libéré hors de cette amnistie, suite à sa propre demande de grâce, acceptée par le président Poutine. Cette décision a été le résultat de la pression grandissante des USA et de l’UE (spécialement l’Allemagne) sur le pouvoir russe et est directement en lien avec les problèmes économiques que rencontrent la Russie.

 

 

Quelles sont les forces qui incarnent la résistance en Russie?

Quel est leur impact social et politique?

En décembre 2011, nous assistions en Russie à de nouveaux mouvements de protestation, qui ont occupé rapidement les rues de Moscou et de nombreuses autres grandes villes du pays. Ces mouvements, apparus avec la protestation contre la « falsification des élections », s’appuient en fait sur la désapprobation d’une large partie de la société face au régime actuel, marqué par une corruption omniprésente du pouvoir et une énorme injustice sociale.

Au milieu de 2012, suite à la réélection de Poutine et à une forte vague de répression, ce mouvement a reflué. Néanmoins, son caractère complexe, rassemblant différentes identités sociales, est sans doute  typique des luttes à venir. Après 20 ans de transformations néolibérales, la société russe a perdu presque toute forme de conscience de classe et de tradition de solidarité sociale. Les syndicats indépendants, ainsi que les mouvements écologistes, existent et se battent surtout au niveau local. Leur influence sur la société reste donc très limitée. 

Ces mouvements de protestation, à la nature politique et sociale très diversifiée, apparus en Russie en 2011 (et aujourd’hui en Ukraine), représentent une nouvelle réalité où toutes sortes d’idées circulent, qu’elles soient de gauche ou d’extrême droite. Les socialistes doivent trouver leur place dans cette nouvelle réalité et être prêts à se battre pour leur programme.

 

 

Quelles sont les impacts politiques des diverses campagnes de solidarité internationale?

 

Dès à présent, « l’affaire Bolotnoe », qui visait de fait la gauche radicale en Russie, doit devenir l’aspect le plus important de la campagne internationale. Vous, nos camarades en Europe de l’Ouest, êtes ceux qui pouvez infliger des coups douloureux et efficaces à la confiance de l’élite russe, en particulier lorsqu’ils ont à faire face aux questions qu’ils peuvent facilement balayer d’un revers de main chez eux.

Récemment, nous avons eu de brillants exemples de ce type d’actions : le 20 novembre, des militants français ont interrompu un discours d’Alexandre Bastrykine, le chef du comité d’investigation et grand architecte de « l’affaire Bolotnoe ». Quelques jours plus tard, en Allemagne, la présence d’Elena Mizoulina – la principale lobbyiste du « combat contre la propagande gay » – a donné lieu à des manifestations massives. Il y a deux mois, sur une initiative de dé­puté·e·s de gauche du parlement suédois, une résolution a été adoptée pour appeler l’Etat russe à libérer ses prisonniers politiques. Tout ceci constitue des éléments de luttes importants, qui doivent se multiplier. 

 

Propos recueillis par
Stéfanie Prezioso