«Tout le monde peut devenir suisse. Mais pas confédéré»

Avec un sens du marketing journalistique avéré, la «Neue Zürcher Zeitung (NZZ)» a créé l’événement: à partir d’une offre d’emploi d’une entreprise lucernoise demandant un «Confédéré intéressé» pour un poste de mécanicien agricole, elle a lancé un sondage parmi ses lecteurs sur le thème «quelle différence entre les Suisses et les Confédérés?» Au-delà du coup médiatique, pointe toutefois la réalité de l’existence d’un courant identitaire aux franges de l’UDC.

 

Le libellé de l’annonce — justifié par le patron de l’entreprise par le fait que sa clientèle d’agriculteurs n’aimerait pas trop qu’il engage un étranger — n’est pas la première manifestation publique d’un courant d’opinion jusqu’alors plutôt souterrain.

Une première bulle nauséabonde avait éclaté en 2010, lorsque le champion bernois de lutte à la culotte Christian Stucki avait déclaré dans le mensuel des CFF « Via » être « d’abord Confédéré » plutôt que Suisse ou Bernois. Conscient de l’enjeu de cette déclaration, Stucki avait souligné en riant que c’était un thème « chaud », où l’on était immédiatement soupçonné de xénophobie, tout en ajoutant que « tout le monde peut devenir Suisse. Mais pas Confédéré ». Cette revendication, par un sportif connu, d’une identité originelle, semblable à celle qu’évoque le Front national en France lorsqu’il parle des « Français de souche », avait provoqué quelques remous que son agent avait tenté de noyer dans des explications alambiquées sur le vrai sens des propos de son poulain. Un lutteur parrainé par les magasins Lidl, soucieux d’hélvétiser leur image.

 

La «Schwingerkultur» 

Si la lutte suisse ou lutte à la culotte reste un sport marginal en Suisse romande, l’aura de ses principaux acteurs en Suisse alémanique est bien plus grande, en particulier dans les régions montagneuses. Les déclarations d’un de ses champions, comme Christian Stucki, finaliste de la Fête fédérale de lutte en 2013 et quatre fois « couronné fédéral », a là-bas autant d’importance que celle d’un Didier Cuche ou d’un Stanislas Wawrinka en Suisse romande.

Le milieu de la lutte suisse est un vivier nationaliste et conservateur, sensible aux thèses de l’UDC. On se souvient qu’en 2007, la tradition qui veut que le président de la Confédération s’exprime lors de la Fête fédérale de lutte suisse n’avait pas été respectée. Cette année-là, Micheline Calmy-Rey était présidente de la Confédération. La « gauchiste » genevoise fut remplacée à Aarau par l’UDC Samuel Schmid. On aurait tort de considérer ce sport, avec son idéologie machiste et nationaliste, comme une curiosité historique en voie de disparition : en 1914, l’Association fédérale de lutte suisse comptait 3411 membres, 13 100 en 1944 et plus de 50 000 actuellement. La différenciation entre « Suisses » et « Confédérés » participe du même mouvement que les démarches entreprises par des parlementaires UDC demandant, dans le canton de Zurich, que l’on distingue dans les statistiques officielles les « naturalisés » et les « Suisses de naissance » ou encore, dans le canton de Lucerne, que les autorités informent de manière urgente le public sur l’arrière-plan migratoire des délinquants.

Le sondage de la NZZ a permis de constater que la distinction Suisses/Confédérés était largement répandue à l’armée et qu’on la rencontrait dans les zones rurales. On y trouvait même un classement à trois niveaux : les Secondos (naturalisés), les Suisses (naturalisés depuis deux générations au moins et parlant le dialecte) et les Confédérés (sur sol suisse depuis l’origine de la généalogie familiale). Un classement qui permet de mettre en évidence combien « l’immigration de masse » dénoncée par l’UDC a encerclé progressivement le noyau « pur » des Helvètes d’origine.

 

Les identitaires ne sont pas loin

Evidemment, ce genre de préoccupations ne saurait laisser de marbre les courants patriotiques et identitaires, qui mettent en vente des écussons « Je suis fier d’être Confédéré » ou des T-shirts noirs avec la mention « Confédéré » en lettre gothique, comme sur le site « www.patriot.ch », où l’on trouve aussi une figurine en plastique appelée « Blöcherli » et représentant qui vous savez. En plus explicite encore, un T-shirt proclame « Du Schweizer, ich Eidgenoss », rappelant les paroles de la chanson du groupe néonazi « Indizier », intitulée « Wir sind Eigenossen », parue dans leur album « Die letzte Bastion ». Cette idée du dernier bastion recoupe assez précisément la logique des groupes identitaires qui figurent dans les nombreux liens Internet mentionnés par nos valeureux patriotes. 

Les identitaires utilisent de plus en plus comme signe de reconnaissance le lambda grec, en référence à la Sparte antique (Lacédémone, abrégée en lambda). Popularisé par le film « 300 », le lambda évoque ainsi le sacrifice des guerriers de Sparte à la bataille des Thermopyles, qui retardèrent la progression des armées perses. Ce signe lambda est, par exemple, arboré par les identitaires de Jeune Bretagne. Un mouvement pas peu fier d’exhiber sur son site la bobine d’Oskar Freysinger, en visite amicale.

 

Daniel Süri