Les Urbaines

Les Urbaines : Un festival précieux

Installé dans la vie culturelle lausannoise depuis 1996, le festival des Urbaines trace un sillon dont la cohérence tient à l’exploration et à la modestie.

C’est presque sur la pointe des pieds que revient chaque année le festival des Urbaines. A l’exacte inverse des paillettes des habituelles festivités trop souvent liées au monde de l’art, les Urbaines font preuve d’une étonnante sobriété, que ce soit dans la communication ou la philosophie. Une sobriété qui, par les temps qui courent, fait quasiment office de manifeste et de singularité. Ici, la création artistique ne conçoit pas son exposition sous la forme d’un étalage pimpant, mais dans la présentation rigoureuse d’une réflexion et d’une exploration créative et pourquoi pas jouissive, sans tête d’affiche ni prête-nom. Le caractère exigeant du festival en restreint peut-être le public, il n’empêche que les Urbaines restent cohérentes dans leur ouverture via un accès gratuit.

 

Au cœur de l’urbain

 

Ce mystérieux nom d’« urbaines » résonne fortement aujourd’hui alors que l’urbain semble jeté aux poubelles de l’histoire. Alors même que c’est dans les villes que se jouent des luttes et que s’expriment des besoins insatisfaits (logement, droit à la ville, espace public), la Suisse conservatrice, et en particulier Lausanne, se rêve encore et toujours comme une grande campagne (voir par exemple le film de Jean-Stéphane Bron, solidaritéS nº 237), un grand village paisible protégé des troubles étrangers par de si belles montagnes.

Il existe aujourd’hui une inquiétante absence de tout débat en termes de politique de la ville. Les récentes problématiques autour de la vie nocturne ont tourné, pour Lausanne du moins, à une opposition portée par des patrons en appelant à la police. Les Urbaines viennent ainsi apporter une réflexion précieuse sur la ville. Donnant accès pour la première fois à un nouvel espace social, le futur pôle muséal (dans l’ancienne halle des locomotives CFF), le festival propose comme principale exposition Hot Jam, curatée par Chri Frautschi, accompagné par le collectif Rodynam, qui s’est déjà fait connaître pour son travail à la Minoterie d’Orbe. Dans cette exposition réunissant de nombreux artistes, l’intention est de questionner le processus d’« espace d’art autogéré » et les différents enjeux qui l’habitent et qui traversent l’ensemble du champ artistique et au-delà : la question du collectif comme mode d’organisation et de création?; l’autonomie face à l’institutionnalisation ou le besoin d’argent?; ou encore le rapport au public.

Ce dernier aspect sera également au cœur de nombreuses propositions offertes par le festival dans la catégorie « Arts vivants ». Performances, théâtres et danses ébroueront la relation public/spectacle dans tout ce qu’elle possède d’intime mais aussi d’appel à la réaction. Côté musique, les artistes conviés possèdent tous un fort taux d’expérimentation. Notre coup de cœur va à Triad God et son travail d’exploration du R’n’B poussant la suavité dans ses retranchements les plus évanescents.

 

La réflexion comme trame

 

Dans le cadre des Urbaines, se déroulera également un symposium sur deux jours, les 6 et 7 décembre, afin d’apporter une réflexion théorique sur la notion de culture post-digitale. La présence des nouveaux média, du développement de l’internet dans sa version 2.0 (donnant accès à une plus forte interactivité) apparaît comme une clef importante de la réflexion contemporaine.

Convoquée régulièrement, par exemple pour expliquer des mouvements sociaux, et pointée pour les défis qu’elle pose à la question de la démocratie et du droit d’expression, les commentaires étant devenu le royaume des insultes et des humiliations racistes et sexistes, la culture issue du web reste trop peu questionnée. Ce symposium s’y attelle en remettant en question la relation entre l’art et les nouveaux médias. Onze intervenants, artistes, sociologues ou curateurs, viendront débattre de l’impact d’internet et ses nouvelles formes sur la culture tant en terme de communication que de création. Comment l’art travaille-t-il cette nouvelle matière ? L’interactivité induit-elle un nouveau positionnement de l’artiste dans le jeu social de ces médias ? Une posture plus collective ? Plus militante ? Les Urbaines tissent ainsi un festival cohérent, en abordant des questions évidemment théoriques et abstraites mais ô combien nécessaires. 

 

Pierre Raboud

 

Les Urbaines, du 6 au 8 décembre à Lausanne, divers lieux, information sur www.urbaines.ch