Extension des accords de libre circulation des personnes à la Croatie

Extension des accords de libre circulation des personnes à la Croatie : Absence de débats à Gauche et déferlante xénophobe

Le 28 août dernier, le Conseil fédéral mettait en consultation le résultat de ses négociations avec l’Union européenne concernant l’accord de libre circulation des personnes avec la Croatie. La consultation se fera jusqu’au 28 novembre.
En 2014, l’Assemblée fédérale aura donc à ratifier l’accord qui sera soumis au référendum facultatif. Le débat est lancé.

Certains diront qu’à chaque extension de la libre circulation des personnes c’est la même rengaine : l’extrême-droite lance un référendum et la gauche menace d’un référendum qu’elle ne lance finalement pas ayant obtenu quelques cacahuètes en matière de lutte contre le dumping salarial (pseudo responsabilité solidaire dans le bâtiment, CCT des travailleurs temporaires qui légalise le dumping salarial, Contrat type de travail dans l’économie domestique, …).

 

Déferlante xénophobe

 

A y regarder de plus près, la configuration est aujourd’hui cependant différente, cela parce qu’à force de campagnes référendaires, et contrairement à la gauche, l’extrême-droite a réussi à imposer ses thèmes. C’est ainsi que le Conseil fédéral a activé la clause de sauvegarde en mai 2012 contre les pays de l’Europe de l’Est, réintroduisant le contingentement pour les ressortissants au bénéfice d’un permis B.

Dès le 1er juin 2013, la clause de sauvegarde a même été activée pour une année à l’échelle de l’ensemble des ressortissants de l’Union européenne.

Dans son communiqué de presse du 24 avril 2013, le Conseil fédéral plaidait «pour une immigration socialement acceptable» en invoquant notamment le fait que «l’activation de la clause de sauvegarde constituait une mesure, parmi de nombreuses autres, qui permettra d’avoir une immigration supportable du point de vue tant économique que social».

Le cadre posé par le Con­seil fédéral n’est autre que celui de l’UDC dont l'initiative « contre l’immigration de masse » (soumise au vote en février prochain) a réussi à marquer la campagne sur les bilatérales à un tout autre niveau que l’initiative de l’Union syndicale suisse sur le salaire minimum (soumise au vote en mai 2014).

L’extension des accords de libre circulation à la Croatie sera soumise au référendum quelques mois seulement après le vote sur cette initiative de l’UDC sur la réintroduction des contingents d’étrangers (y compris pour les frontaliers et les requérants d’asile) et quelques mois avant le vote sur l’initiative d’Ecopop qui vise à limiter la croissance de la population étrangère en Suisse. Deux initiatives que les milieux d’extrême-droite n’auront pas de peine à vendre comme étant durables et autrement plus efficaces que la clause de sauvegarde du Conseil fédéral (à part pour la Bulgarie et la Roumanie, la clause de sauvegarde ne pourra plus être évoquée au-delà du 31 mai 2014). Les autorités politiques risquent donc d’être dépassées par le feu qu’elles ne cessent d’alimenter.

 

Campagnes xénophobes bien utiles

 

Le discours de l’UDC a de quoi séduire la bourgeoisie de ce pays en ce sens que l’UDC a réussi à canaliser le mécontentement et les frustrations populaires accumulées ces dix dernières années vers un bouc émissaire bien pratique. Pratique parce qu’il a permis aux autorités de libéraliser le marché du travail et de démanteler les assurances sociales en affaiblissant de manière significative les milieux de gauche.

C’est aussi ainsi que les autorités politiques ont à chaque fois réussi à s’attirer les bons offices de la gauche syndicale et politique pour faire campagne contre les dangers xénophobes des campagnes de l’UDC. En devant défendre les accords bilatéraux (sur des bases certes louables mais parfois main dans la main avec le patronat) sans pouvoir obtenir de réels droits pour la population, la gauche s’est ainsi petit à petit coupée des milieux populaires.

 

Un référendum de gauche?

 

Dans une telle configuration, il ne peut exister une réelle opposition de gauche que si elle repose sur un programme articulé autour de revendications audibles et largement diffusées. La gauche n’arrivera pas à s’opposer à l’initiative de l’UDC contre l’immigration de masse sans s’activer pour l’amélioration des droits des salarié·e·s.

L’initiative pour un salaire minimum à 4000 francs constitue une première partie de la réponse que la gauche doit donner. Or force est actuellement de constater que la gauche n’a pas le programme permettant de compléter cette partie. La dernière Assemblée des délégués de l’Union syndicale suisse appelait à «encourager des CCT prévoyant des salaires minimums » et « appliquer rigoureusement les mesures d’accompagnement».

Difficile dans ces circonstances d’envisager une offensive audible contre la poursuite de la libéralisation du marché du travail comme le souhaiteraient certains partisans d’un référendum de gauche contre l’extension de l’accord de libre circulation à la Croatie. Il n’en reste pas moins qu’un tel outil référendaire ne saurait être évacué des débat. En effet, prévoir des délais de 10 ans (comme pour la Roumanie et la Bulgarie) pendant lesquels les contingentements puis la clause de sauvegarde pourront s’appliquer entraîne une différenciation de traitement injustifiable avec les autres ressortissants de l’Union européenne (qui eux bénéficieront d’une libre circulation dès le 31 mai 2014) et ressort de l’appréciation utilitariste et patronale de la libre circulation. Un référendum contre l’extension de l’accord de libre circulation plaidant pour une application immédiate de la libre circulation accompagnée de réelles améliorations des droits des salariés (salaire minimum, protection contre les licenciements, contrôles et sanctions accrues contre les patrons auteurs d’infractions,…) est donc possible. Un tel référendum serait même souhaitable pour autant que la gauche s’en donne les moyens.

 

Jean-Marc Etienne