Marie Goegg, une pionnière du féminisme

Marie Goegg, une pionnière du féminisme


C’est en 1868 que Marie Goegg, née Pouchoulin, fonde à Genève la première association internationale des femmes. Son action demeure, aujourd’hui encore, une source d’inspiration pour le développement d’un féminisme radical, inscrit dans une perspective socialiste1.



 



Née en 1826 dans une famille genevoise horlogère, Marie Pouchoulin bénéficie d’un environnement favorable aux idées socialistes. Elle se marie en secondes noces à Amand Goegg, ancien vice-président de l’Assemblée populaire de la République de Baden (1848-1849), dont il assume la charge de ministre des finances du gouvernement provisoire. C’est son exile en Suisse qui lui permettra de rencontrer Marie, qui divorce de son premier mari en 1856.



Le mouvement féministe commence à prendre forme en Suisse au XIXème siècle, mais demeure fortement désorganisé. Ce n’est que dans le dernier tiers du XIXème que les organisations commencent à se consolider et à se stabiliser, notamment grâce à la révision de la Constitution fédérale de 1874 qui, par le transfert de certaines compétences cantonales à la Confédération, impose aux féministes de se coordonner au niveau national. A cette époque, le mouvement des femmes était divisé en deux grands courants opposés, correspondant à deux visions distinctes des rapports de genre. Les féministes dualistes, largement majoritaires, partaient du principe de l’existence d’une différence par essence de l’homme et de la femme et cherchaient à valoriser socialement les spécificités du genre féminin, alors que les féministes égalitaires, dont faisait partie Marie Goegg, se fondaient sur des conceptions républicaines, en ce sens qu’elles postulaient la stricte égalité morale de l’homme et de la femme, en tant qu’individus appartenant à la société. Bien qu’isolées et fortement minoritaires, parce que plus éloignées de la réalité «concrète» vécues par les femmes de l’époque, les féministes égalitaires n’en ont pas moins posé les bases du féminisme radical qui a pris de l’ampleur dès la seconde moitié du XXème siècle.

La première association internationale des femmes


C’est dans le cadre de la Ligue internationale pour la paix et la liberté, fondée à Genève en 1867 et dont Amand Goegg est le vice-président, que Marie Goegg lance l’Association internationale des femmes (AIF). Dans un premier temps, afin de ne pas effrayer les hommes, mais aussi et surtout pour pouvoir bénéficier d’une structure existante et y développer les réflexions féministes, l’AIF est statutairement constituée en une section de la Ligue, dont le but est d’en seconder de tout son pouvoir le travail et, ensuite, d’œuvrer à l’amélioration intellectuelle et sociale de la femme. La réaction de la Ligue est positive, à l’instar de celle de Garibaldi qui, le 7 avril 1868, s’adresse à Amand Goegg afin que celui-ci félicite son épouse pour «la noble initiative de lancer le beau sexe dans les rangs des émancipateurs de la raison humaine, suffoquée par la tyrannie et par les prêtres.»2



En 1868, Marie Goegg écrit à la Ligue au nom de l’AIF afin de pouvoir participer à son second Congrès, qui doit se tenir à Berne en septembre. La Ligue lui répond favorablement et consacre le dernier jour de sa réunion, le 26 septembre 1868, pour entendre les revendications des femmes. Une résolution est votée, par laquelle «le Congrès reconnaît qu’en principe «tous les droits humains»: économiques, civils, sociaux et politiques, appartiennent aux femmes et il met à l’étude la recherche des moyens les plus propres à hâter le jour où les femmes pourront avoir le plein exercice de ces droits.»3 Par ailleurs, Marie Goegg est élue au Comité de la Ligue. C’est là le premier pas d’une longue action féministe qui verra notamment l’AIF s’engager, avec succès, pour l’accès des femmes à l’université de Genève (adopté par le Grand Conseil en 1872) ou pour l’abolition, le premier janvier 1874, de la tutelle universelle des femmes veuves ou célibataires dans le canton de Vaud. Mais il est surtout à retenir de l’action de Marie Goegg les principes du féminisme égalitaire qu’elle n’a eu de cesse de défendre et de faire progresser.

Les rapports de Marie Goegg avec l’AIT


Si son mariage à Amand Goegg lui a, sans conteste, permis de développer, avec succès, au sein de la Ligue internationale pour la paix et la liberté les revendications féministes, il lui a par ailleurs sans doute fermé la porte de l’Association internationale des travailleurs à laquelle elle s’était adressée en 1868 afin de pouvoir participer au Congrès de Bruxelles, sans recevoir de réponse. En effet, bien qu’Amand Goegg, grâce à son action pour la république de Baden, ait été dans un premier temps bien vu par Karl Marx, collaborant même en 1951 à la «Neue Rheinische Zeitung»,son engagement, dès sa fondation, dans la Ligue internationale pour la paix et la liberté lui vaudra de véhémentes critiques tant de la part d’Engels que de Bakounine et de l’ensemble du mouvement ouvrier qui voit dans la Ligue le regroupement de simples démocrates bourgeois ne produisant que de vaines phrases creuses. Il ne faudra pourtant pas attendre longtemps pour qu’avec l’arrivée de militantes telles que Clara Zetkin ou Alexandra Kollontaï, le féminisme égalitaire s’implante dans les revendications marxistes.



Si, aujourd’hui, une des grandes victoires de près de deux siècles de féminisme réside dans la prise de conscience que la question des rapports de genres ne peut plus être ignorée, c’est notamment à Marie Goegg, une des premières à en avoir imposé le débat, qu’on le doit. Cependant, à voir l’actualité des principes défendus par cette pionnière genevoise du féminisme international, on comprend que la lutte contre le patriarcat a encore un long et dur chemin à mener et que celle-ci se doit d’être inscrite dans une lutte socialiste. Car le patriarcat et le capitalisme se nourrissent l’un de l’autre, mais aussi parce qu’il ne peut être question de socialisme si celui-ci ne répond pas à une des plus inacceptables injustices qu’il soit: l’oppression séculaire des femmes.



Erik GROBET

  1. Une étude plus complète de 25 pages sur Marie Goegg est disponible sur le site de solidaritéS.
  2. Lettre de Garibaldi à l’attention de Amand Goegg, publiée le 26 avril 1868 dans le numéro 17 de la première année des «Etats-Unis d’Europe»
  3. Ligue internationale pour la paix et la liberté, Résolutions votées par les 21 premiers congrès, Genève, 1888, p. 26.