Quand Lidl fait de la surenchère salariale

Début octobre, le détaillant Lidl annonçait l’augmentation des salaires minimaux prévus pour ses employé·e·s dont le plancher s’élèvera à un montant mensuel de 4000 francs. Reprenant sans nul doute sciemment le chiffre revendiqué par l’initiative pour un salaire minimum légal qui sera votée l’an prochain, l’annonce de Lidl a trouvé un vaste écho médiatique. Quelques jours plus tard, l’enseigne appuyait sur le clou en lançant une grande campagne d’affichage vantant les salaires pratiqués pour ses employé·e·s sous le slogan « L’idéal c’est Lidl – pour nos collaborateurs aussi ».

 

En matière de commerce de détail, la Suisse est un des marchés les plus fermés, marqué par un duopole qui s’est encore renforcé ces dernières années (rachat de Globus, Pick Pay puis Denner par Migros, de l’EPA, Waro et Carrefour par Coop), créant un lien quasi identitaire entre la clientèle et ces deux enseignes qui capitalisent, du fait de leur histoire, sur une image d’entrepreneurs sociaux dans la plus pure tradition suisse.

 

Se profiler par sa grille salariale

 

Quand Lidl entre en 2009 sur le marché suisse, il débute donc avec le handicap lié à son image de hard discounter étranger. C’est que l’enseigne a déjà effectivement accumulé un certain nombre de casseroles et traîne la réputation de répercuter les bas prix pratiqués dans ses magasins sur les conditions de travail de ses em­ployé·e·s. En 2005, le syndicat allemand Ver.Di rend ainsi public le résultat d’une enquête menée dans les filiales du groupe rendant compte d’un véritable climat de terreur imposé aux em­ployé·e·s, traqués par des systèmes de vidéosurveillance et dont le temps passé aux pauses toilettes est chronométré, alors qu’une cadence de 40 articles scannés par minute leur est imposée, sous peine d’avertissement. Bref, une « sale boîte ».

Un an après son implantation en Suisse, Lidl signe pourtant une convention collective nationale de travail avec le syndicat Syna et la Société des employés de commerce fixant un salaire plancher de 3800 francs pour 41 heures de travail et un minimum de 5 semaines de vacances pour ses collaborateurs et collaboratrices. Avec le passage aux 4000 francs mensuels, Lidl signe aujourd’hui la convention dans le commerce de détail qui offre le salaire minimum le plus avantageux, devant les 3800 proposés par la Coop et les 3700 fixé par la Migros pour le personnel sans formation.

Il n’échappera à personne que le choix stratégique de se profiler comme leader des salaires minimaux offerts dans le commerce de détail répond clairement pour Lidl au besoin de revaloriser son image de marque face aux deux géants qui pratiquent certes des prix plus élevés, mais qui parlent davantage à une clientèle soucieuse des conditions de travail du personnel de vente. Première dans le paysage du commerce de détail suisse, cette campagne marketing sur les salaires pratiqués semble mettre d’autant plus mal à l’aise les directions de Coop et Migros que les augmentations salariales y sont en berne ces dernières années.

Après avoir proposé une augmentation générale des salaires se limitant à 0.6 % l’an dernier, Coop vient d’annoncer pour 2014 qu’aucune augmentation générale n’était possible et s’est contentée de proposer des augmentations individuelles pour deux tiers de ses collaborateurs. Cette proposition a été refusée par les délégués du syndicat Unia qui ne signera donc pas l’accord salarial cette année.

Chez Migros la situation n’est guère plus reluisante, le salaire minimum n’ayant pas connu d’augmentation depuis 2009. Si les deux grands groupes proposent des avantages sociaux qui rendent les conditions salariales au moins équivalentes à celles proposées par Lidl, la campagne de communication de ce dernier pourrait bien obliger le duopole à cesser de se reposer sur ses vieux lauriers. Après la guerre des prix et la concurrence sur fond de sous-enchère salariale, on se prête à rêver de batailles pour l’employée la mieux traitée…

 

Une bonne nouvelle à relativiser

 

Passé un premier constat réjouissant, l’augmentation du salaire minimum décrété par Lidl reste à relativiser. La situation du commerce de détail est en effet marquée par un taux de temps partiels parmi les plus forts du marché de l’emploi. Si les groupes se plaisent à considérer qu’il s’agit là d’une conséquence de la forte féminisation de leur personnel, la réalité est bien plus souvent celle de temps partiels imposés pour des raisons de flexibilité : la disponibilité d’une main-d’œuvre en plus grand nombre et le jeu des heures supplémentaires et négatives permet un fonctionnement optimal en flux tendu. De fait, les salaires touchés par les em­ployé·e·s à temps partiel resteront extrêmement faibles, même sur une base de 4000 francs.

Enfin, l’augmentation du salaire minimum par Lidl doit être rapportée à l’augmentation de la charge de travail à laquelle est confronté aujourd’hui le personnel de vente. Vendeurs et vendeuses subissent en effet un sous-effectif constant pour cause de non-remplacement des départs ainsi que de baisse des engagements d’étu­diant·e·s. Si Lidl ne publie pas encore de rapports d’activité permettant de se faire une idée précise de l’ampleur de ce phénomène dans ses succursales, les chiffres présentés par Migros-­Genève (augmentation de la surface de vente par collaborateur de 8 % entre 2008 et 2011) et Coop (–?5,5 % de collaborateurs en 2011 dans sa division alimentaire) dressent un tableau largement révélateur des économies qui peuvent être faites sur le dos du personnel. 

A ce prix-là, il y a fort à croire que l’augmentation mensuelle sera vite rentabilisée…

 

Audrey Schmid