Égypte

Égypte : Construire une 3e voie pour continuer la révolution

Face aux pouvoirs des militaires et à l’organisation des Frères musulmans, une troisième voie, le Front du chemin révolutionnaire, tente de se construire pour continuer la lutte et réaliser les objectifs de la révolution : la démocratie, la justice sociale et l’indépendance nationale.

 

Le Front du chemin révolutionnaire réunit le Front démocratique du 6 avril, le Mouvement de la jeunesse du 6 avril, Le Parti de l’Egypte forte, les Socialistes révolutionnaires, le mouvement de jeunesse de Justice et Liberté, et un certain nombre d’autres mi­li­tant·e·s révolutionnaires. La gauche radicale joue un rôle dirigeant dans ce Front.

Il s’est fixé de nombreux objectifs :

redistribuer les richesses afin de parvenir à la justice sociale?;

barrer la route à l’émergence d’un régime autoritaire par la réorganisation et la refondation des institutions de l’Etat sur une base démocratique et l’approfondissement de la démocratie des urnes pour qu’elle devienne une véritable démocratie participative?;

assurer la pleine égalité entre les individus en éliminant toutes les formes d’oppression et de discrimination?;

affronter le confessionnalisme et la violence contre les femmes?;

lutter contre la marginalisation dont souffrent des secteurs de la population en raison de la race ou de la classe sociale, de l’appartenance géographique, religieuse ou culturelle;

adopter une politique extérieure basée sur les intérêts des masses garantissant l’indépendance nationale et brisant les chaines de la dépendance politique et économique. 

 

Le Front rejette également le paiement de la dette, instrument de soumission du pays aux intérêts étrangers et d’accroissement de la pauvreté. Dans son appel fondateur, le Front rappelle son objectif de continuer «la révolution et faire face à la contre-révolution, en luttant contre la répression du pouvoir militaire et contre l’autoritarisme, la violence et le confessionnalisme des Frères musulmans».

 

Contre l’armée et les Frères musulmans

Le Front rejette totalement le pouvoir de l’armée, malheureusement soutenue par de larges secteurs de la société égyptienne, dont certaines parties de la gauche, des nationalistes et des libéraux, et des institutions religieuses, musulmanes (Al Azhar) et coptes?; il dénonce l’autoritarisme de l’armée et sa prétendue « campagne contre le terrorisme » qui vise certes à réprimer sévèrement le mouvement des Frères musulmans, mais surtout à mettre fin à toute mobilisation populaire.

Tout en dénonçant le rôle du mouvement des Frères musulmans dans la contre-révolution, Le Front a néanmoins condamné à plusieurs reprises les meurtres, attaques, exactions et emprisonnements arbitraires des membres des Frères et la fermeture de ses médias, organisations caritatives et bureaux. Cela bien que, durant son année au pouvoir, la confrérie des Frères ait confirmé son rôle contre-révolutionnaire, par son autoritarisme et ses nombreuses attaques contre différents secteurs combatifs de la société – particulièrement les organisations de femmes et syndicales – comme par son alliance avec l’armée (bien mal lui en a pris). Rôle qui se poursuit aujourd’hui à travers sa propagande confessionnelle contre les minorités religieuses.

Plus de 1000 membres des Frères musulmans ont été tués depuis le mois d’août par la répression de l’armée. Les militaires se sont également attaqués à d’autres secteurs de la société critiques qui s’opposent à ces pratiques autoritaires, comme certains médias, certains op­po­sant·e·s politiques ou encore en interdisant le programme télévisé du célèbre comique Bassem Youssef qui s’est notamment moqué du général Sissi, après avoir raillé le pouvoir autoritaire Frères musulmans.

 

Au rythme des mobilisations

Le Front a notamment participé aux mobilisations contre la répression de l’armée dans les universités dirigées contre de nombreux étu­diant·e·s, islamistes, libéraux et de gauche, qui manifestaient contre la présence des militaires sur les campus. De nombreuses mobilisations étudiantes ont été réprimées par l’armée depuis la chute de Morsi le 30 juin dernier. De même, c’est le Front qui a appelé à l’organisation de manifestations à la fin octobre sous le nom La rue est à nous pour protester contre la nouvelle loi sur l’interdiction de manifester et le slogan «le peuple veut la chute du régime militaire» foisonnait dans les cortèges.

En même temps, le Front a soutenu les nombreuses grèves de travailleurs et travailleuses qui continuent à secouer le pays. Fin septembre, la principale confédération syndicale indépendante EFITU a d’ailleurs menacé d’une troisième révolution ouvrière, si le gouvernement ne tenait pas compte des réelles revendications populaires. Malgré les promesses de l’armée d’établir en janvier un salaire minimum de 1200 livres égyptiennes dans certaines administrations publiques – une revendication importante des syndicats – les travailleurs et travailleuses continuent à se mobiliser pour une amélioration générale de leurs conditions salariales et de travail.

Le nombre de grèves a néanmoins connu une baisse importante à la suite du départ de Morsi en juin (900 par mois durant les 3 derniers mois de son règne). C’est en partie le résultat de la terrible répression du mois d’août contre les membres des Frères musulmans, visant à effrayer les masses révolutionnaires et arrêter les protestations sociales. Les tanks contrôlaient les rues et ont souvent été vus aux portes des usines. Les patrons en ont profité pour lancer des campagnes de licenciements et de menaces contre les travailleurs en lutte. Malgré cette situation, les syndicats et travailleurs continuent à se mobiliser pour réclamer leur dignité, et on a vu ces dernières semaines une nouvelle montée des mobilisations sociales. 

Le Front se développe rapidement à travers le pays et a formé de nombreux groupes dans maintes villes et universités. La troisième voie n’est dès lors pas un espoir rêveur ou utopique, mais elle est d’abord une nécessité politique pour permettre la poursuite de la révolution.

 

Joe Daher