Pour comprendre un vote à contre courant
Pour comprendre un vote à contre courant
Les mots dordre du Grand Conseil et du Conseil dEtat, à majorité de droite, étaient évidemment opposées à linitiative fiscale de lAlliance de Gauche. Un large «consensus» régnait quant à linéluctabilité supposée de son rejet. Le résultat semblait couru davance, et pourtant…
Lors des débats au Grand Conseil, presque chacun y est allé de son couplet, «ses chances devant le peuple sont minimes» affirmera le vert David Hiler, la PDC Stéphanie Rueggseger soutiendra «quil ne faut pas être grand clerc pour prédire un échec de cette initiative devant le peuple», le millionnaire libéral Nicolas Brunschwig affirmera quelle «naura aucune chance devant le peuple», le radical Pierre Froidevaux sexclamera «Le débat de société a (
) déjà eu lieu, le peuple vous a déjà répondu: cest moins dimpôt!»
Nous étions plus optimistes. Comme le reconnaissait, au lendemain du 2 juin, un porte-parole de lAssocia-tion des Banquiers Privés Genevois «ce vote sinscrit dans un climat antilibéral quil faut prendre sérieusement en compte»!1 Et ce climat on le sent, de fermeture de postes, en déroutes dont les travailleurs/euses et contribuables font les frais, comme avec Swissair, en passant par la popularité des mobilisations antimondialisation, on sait que les recettes néolibérales nont plus, aux yeux de la plupart des gens, le même statut de pseudo-évidence quelles avaient par le passé. Comme lécrit un journaliste du Temps, nous avons bénéficié du «sentiment dinégalité croissant quéprouvent les couches défavorisées à légard des nantis».2
Nous nous attendions donc à une progression par rapport au résultat de nos dernières initiatives fiscales en 1996. Mais de gagner la majorité représente – quand même – une bonne surprise. Plusieurs facteurs évoqués ci-dessous y ont sans doute contribué:
- Faits et chiffres solides
Comme lécrit la Tribune: «Il faut souligner que lADG a mené une bonne campagne ( ) Avec des faits et des chiffres. Laugmentation du nombre de millionnaires dans le canton a probablement impressionné lélecteur qui abordait le sujet sans a priori politique. En revanche la menace dexode des grosses fortune na pas été prise au sérieux vu les montants en jeu.»3 - Et en effet, nous avons été les seuls à faire une campagne politique qui sorte des incantations idéologiques. «Non au délire fiscal de lAlliance de Gauche», ces «Don Quichotte de la pression fiscale» qui veulent «bafouer la volonté populaire» éditorialisait le nouveau président du parti libéral genevois Olivier Jornot.4 Son parti ne sengagera dailleurs guère dans la bataille quil juge – comme tous ses pairs – déjà gagnée
- Auto-intoxication à droite
Et cest vrai, les partis de droite nont pratiquement pas fait campagne, sétant tant montés la tête sur limpossibilité dune victoire de linitiative quils ont largement ignoré le sujet pour consacrer leurs gros moyens à une campagne massive, mensongère et malheureusement réussie, pour faire capoter le Revenu Minimum de Réinsertion (RMR).
Ainsi pour une fois, sur le terrain fiscal, la démesure du matraquage publicitaire était moindre que dhabitude. Les patrons de la Chambre de Commerce et dIndustrie (CCIG) sont les seuls à être montés au front, en publiant trois ou quatre pleines pages de pub dans la Tribune. «Mais il ny avait pas de soutien réel des partis » se lamente Patrick Coïdan, directeur de lofficine en question.5 Il faut dire aussi que seuls les 4 partis de droite (avec lUDC) donnaient un mot dordre officiel de rejet de linitiative. Les associations patronales se sont réveillées trop tard et pas un seul comité ad hoc – que nos adversaires multiplient souvent – nappelait au NON. Alors quen faveur de linitiative, on trouvait, malgré la défection des Verts, 14 groupements, mobilisés parfois par dautres sujets, mais qui ont appelé – ne fut-ce quau passage – à voter OUI! - Bonne participation populaire
En outre, nous avons bénéficié dun vote relativement massif, avec un différentiel moins grand que dhabitude en défaveur des arrondissements populaires. La mobilisation en faveur du droit à lavortement a sans doute joué un rôle significatif dans ce sens en galvanisant peut-être un électorat sortant du cadre des habitué-e-s, comprenant bon nombre de femmes, et moins enclin à suivre automatiquement les mots dordre des partis. - Paquet ficelé, deuxième round
Il faut redire – et nous lavons bien sûr fait lors de la campagne – que cette initiative nest pas sortie «à froid» de notre chapeau, mais quelle a été lancée comme contre-offensive face au paquet ficelé prévoyant pour 1999 des coupes sociales et des hausses dimpôts linéaires et injustes. Issu dune «table ronde» pour laustérité antisociale ou avaient trempé tous les partis du Grand Conseil, sauf lADG, ce «paquet» avait été rejeté par plus de 70% des votant-e-s. Dans la campagne, nous avons pu rappeler que les auteurs de linitiative ont mené une politique sans concessions, loin des compromissions et accommodements avec la droite dune «gauche plurielle» discréditée à la Jospin. - Un ciblage bien réfléchi
La rédaction même de linitiative a été faite avec soin, tenant compte des expériences précédentes, les seuils de taxation supplémentaire étaient élevés: 1.5 millions pour la fortune et 1 million par an pour les bénéfices. En outre, linitiative libérale de baisse linéaire des impôts de 12%, acceptée en automne 1999 et qui favorisait massivement les riches a pu être exploitée, de notre côté, notre proposition apparaissant – à juste titre – comme un assez modeste correctif à laspect inégalitaire et antisocial du «cadeau» libéral. - Pas de contre-projet
Les Verts ne voulaient pas soutenir linitiative vu son volet sur les entreprises. Comme le dira leur co-président national Patrice Mugny après le vote «Nous craignions que la capacité dinvestir des entreprises soit péjorée »6 Sur cette base un contre-projet a été mitonné pour ne taxer que les fortunes, nétant revenu en plénière quaprès le changement de majorité de lautomne dernier, la droite triomphante la rejeté pour – comme le disait le radical Pierre Froidevaux – «laisser lAlliance de Gauche seule devant le peuple avec son initiative.»7 Ce contre-projet aurait sans aucun doute torpillé linitiative, sans forcément passer lui-même. En effet, comme on la vu en 1996, les électeurs/trices nont pas forcément en la matière autant de réserves que certains politiciens. De plus, la synergie dun argumentaire portant à la fois sur les grandes fortunes et les gros bénéfices aurait passé à la trappe. - La dette et ses intérêts
«Tant quil y aura de largent, on puisera dedans et tant quon puisera on dépensera!» expliquait un conseiller municipal libéral commis à combattre notre initiative dans le journal du parti des banquiers et des régisseurs.8 Ressassant ainsi leur vieille recette pour sabrer les prestations publiques «à la source» en jouant les caisses vides, les libéraux se battent au parlement pour des réductions supplémentaires massives de recettes de la collectivité (plus de 400 millions par an sont dans le pipe-line législatif) et ne pipent évidemment plus mot de la dette publique du canton de plus de 9 milliards, qui par ses intérêts plombe le budget de fonctionnement de 400 millions en moins par an. Or lADG a su parler de la dette, expliquer que ces millions devraient être utilisés pour répondre aux besoins de la population et que pour réduire la dette et ses intérêts, en période de croissance, il fallait prendre largent où il était - Calmy communique, lADG réagit
Peu avant le vote, la ministre des finances du canton, Micheline Calmy-Rey, laisse entendre – ce quelle rectifiera par la suite avec plus ou moins de bonheur – que ladaptation de la loi cantonale sur limposition des personnes physiques à la nouvelle législation fédérale (LIPP V), censée être fiscalement neutre, se serait traduite par des augmentations imprévues de limposition de certaines catégories, notamment les familles des couches moyennes, qui ne pourrait pas être corrigée dans lannée. Les libéraux ont dégainé avec un projet de loi de baisse linéaire de 2% impôts, qui ne peut évidemment être présenté comme une réponse ciblée au problème posé et qui avantage de manière éhontée les contribuables les plus aisés LADG par contre a réagi, en réaffirmant quelle sopposait aux augmentations dimpôts pour les bas et moyens revenus, que les erreurs sil y en a peuvent et doivent être corrigées pour lannée en cours mais que par contre certains, peuvent et doivent payer des augmentations comme le prévoit notre initiative.
Nous aurons loccasion de revenir sur la question. Le parlement doit encore produire une loi qui concrétise linitiative. La Chambre de commerce annonce une «mobilisation totale» pour cette bataille là. A nous de nous battre aussi à fond, avec nos propres moyens, pour le respect de la décision populaire du 2 juin
Pierre VANEK
- Michel Dérobert pour lABPG in AGEFI du 3.6.02
- Le Temps du 4.6.02
- Tribune de Genève du 4.6.02
- Le nouveau libéral No 96 du 24.5.02
- CCIG info du 5.6.02
- Le Courrier du 3.6.02
- Mémorial du Grand Conseil du 2.11.01
- Jean-Marc Hainaut in Le nouveau libéral, No 96 du 24.5.02