Revenu minimum inconditionnel

Revenu minimum inconditionnel : Le débat est lancé

Samedi 5 octobre, BIEN.CH a déposé son initiative (lancée en avril 2012) en faveur d’un revenu de base, munie de 126 000 signatures valides. Elle vise à introduire un article 110a (nouveau) de la Constitution suisse prévoyant : a) l’introduction d’un revenu de base inconditionnel?; b) qui permette « de mener une existence digne et de participer à la vie publique »?; c) et dont le financement et le montant sont fixés par la loi.

 

Cette initiative, portée par un collectif non partisan, a reçu à ce jour le soutien du syndicat SYNA, des Jeunes verts suisses et des Verts vaudois, ainsi que d’un certain nombre de personnalités académiques, culturelles (Michel Bühler, Martin Heller, Adolf Muschg, etc.) et politiques (Arnaud Durand, prés. Jeunes DC, VD?; Adrien Faure, prés. JS, GE?; Raphaël Mahaim, député vert, VD?; Guy-Olivier Second, ex-Conseiller d’Etat radical, GE?; Alexis Roussel, prés. Parti pirate suisse, GE?; Joseph Zisyadis, ex-Conseiller national POP, VD, etc.).

 

Une proposition de rupture

Pour Christian Marazzi (prof. HES, TI), «La revendication d’un revenu de base est une lutte pour une autre citoyenneté qui respecte le droit à l’inclusion, ceci dans une économie qui précarise et exclut». Pierre Harold (pasteur retraité) y voit «l’un des moyens majeurs – parmi d’autres – de lutte contre la pauvreté et de promotion d’une meilleure répartition des biens et de la richesse que la société génère». Aux yeux de Gilbert Rist (prof. Hon. IHEID, GE) c’est un moyen de «sortir de l’idéologie productiviste pour faire advenir une forme d’abondance frugale à laquelle l’épuisement des ressources naturelles nous contraindra». Enfin, pour Anne-Catherine Menétray-Savary, «c’est une manière civilisée de sortir du capitalisme».

Dans tous les cas, le contexte actuel de crise abyssale du capitalisme suscite la recherche d’alternatives globales, capables de combattre la montée des inégalités, de la précarité, des très bas salaires, du chômage de masse et de la pauvreté. Or, le revenu de base inconditionnel se présente précisément comme une réponse forte à la régression sociale. C’est pourquoi il est au cœur de nombreux débats, notamment en Europe, mais aussi en Amérique latine, sur lesquels nous reviendrons dans les mois à venir.

 

Comment l’appliquer?

Nous avons commencé à discuter de cet objet depuis un certain temps parce qu’il s’agit d’un enjeu important. Ceci d’autant plus que l’initiative de BIEN.CH pose un principe constitutionnel qui, s’il était accepté en votation populaire, pourrait être décliné de façons fort différentes, modifiant par là du tout au tout le sens de la proposition initiale. Le site de BIEN.CH traduit d’ailleurs des affinités idéologiques contradictoires, puisqu’il reconnaît les influences tant d’André Gorz (un ancêtre de la décroissance) que de Milton Friedman (le pape du néo­libéralisme).

Sur le plan intellectuel, dans une perspective internationale, le revenu minimum est disputé globalement par trois options. L’une, majoritaire, est de type keynésien (pour un capitalisme régulé) et vise donc une réforme en profondeur du système économique. Elle part de l’idée que la montée des inégalités et la captation d’une part toujours croissante des richesses sociales par le secteur financier induit la stagnation, voire le déclin inexorable de la demande, provoquant une crise des débouchés. Aux yeux de ses pro­mo­teurs·trices, le revenu de base inconditionnel doit être envisagé comme une version améliorée de l’Etat providence. C’est, me semble-t-il, l’optique dominante des défenseurs les plus audibles du projet helvétique.

 

Le piège des petits pas

La principale caractéristique de cette vision, c’est qu’elle préconise l’introduction du revenu de base par paliers, pour ne pas décourager les investisseurs par une fiscalité trop redistributive, ne pas miner non plus la compétitivité ou provoquer une flambée de l’inflation. C’est la position défendue par Philippe Van Parijs (fondateur du réseau BIEN), à Genève, le 21 mai dernier. Elle risque cependant fort de dissoudre l’audace keynésienne du projet dans le «réalisme» assistanciel de ses versions néolibérales.

Le fait que BIEN.CH présente l’Iran et l’Alaska comme les premiers Etats à disposer d’un revenu de base inconditionnel n’est pas rassurant. En Iran, il s’agit d’une allocation de 45 francs suisses (« subvention cash »), versée sur demande à tous les chefs de famille et financée par un tiers des 100 milliards de francs d’économies réalisées en supprimant les subventions aux biens de première nécessité (2010). En Alaska, à l’initiative du gouverneur républicain Jay Hammond, depuis 1982, les revenus d’un fonds alimenté par 25 % des revenus du pétrole et du gaz sont redistribués à chaque ré­si­dent·e (100 $ par mois pour 2009–2011). De quoi faire taire les résistances environnementales aux forages arctiques…

 

Quelle vision écosocialiste?

Il y a certes une vision écosocialiste du revenu minimum inconditionnel que nous devrions défendre en insistant sur le fait que son objectif principal vise à réduire les inégalités et non à remédier à la misère. Un revenu de base universel de 2500 francs (chiffre articulé par les ini­tiant·e·s), même s’il est insuffisant, pour autant qu’il soit introduit d’un coup et financé par un impôt fortement progressif, réduirait en effet les écarts de revenus et atténuerait l’obligation de vendre sa force de travail à n’importe quel prix. 

Il ne devrait pas entrer en concurrence avec l’accroissement du subventionnement des biens et services fondamentaux visant à garantir la gratuité de leur « bon usage», attentif à la préservation des grands équilibres environnementaux, dans une optique de service public étendu.

Bien entendu, une initiative constitutionnelle n’est pas en mesure de construire le rapport de force indispensable à une telle percée sociale qui suppose en réalité de rompre avec le capitalisme. Mais ceci ne devrait pas nous empêcher d’en indiquer la direction. Nous y reviendrons.

 

Jean Batou