Élections allemandes

Élections allemandes : Les classes dominantes peuvent souffler

Il y a deux semaines a eu lieu l’événement électoral le plus important en Europe en 2013. Vu les circonstances, les résultats du scrutin du 22 septembre ont été les meilleurs possibles pour les gouvernements et les classes dominantes des autres pays européens.

 

Dans leur ensemble, les résultats marquent un renforcement des partis du centre, puisque la CDU/CSU et le SPD auront 503 député·e·s sur les 630 que comptera le nouveau Bundestag, contre 385 sur 622 lors de la précédente législature. La seule autre force électorale significative qui a vu ses scores progresser, le nouveau parti eurosceptique Alternative für Deutschland (AfD), ne sera pas représenté au parlement, puisque les 4,7 % obtenus ne lui permettent pas de dépasser le seuil des 5 % nécessaire pour entrer au Bundestag.

Avec 41,8 % des voix, la CDU/CSU menée par Angela Merkel réalise un score en hausse de 7,7 % par rapport aux précédentes élections fédérales de 2009. Elle renoue ainsi, après plus d’une décennie, avec les résultats au-dessus des 40 % qui ont longtemps été ceux de  la démocratie chrétienne en Allemagne. Avec 311 sièges, elle frôle la majorité absolue (à 316).

 

Un succès aux multiples facettes

Ce succès est très largement le résultat de l’échec historique du parti libéral, le FDP, qui pour la première fois ne sera pas représenté au Bundestag. Ayant chuté de 14,6 % en 2009 (le score le plus élevé de son histoire) à 4,8 %, les libéraux passent en-dessous du seuil des 5 %. La moitié des quatre million deux cents milles élec­teurs·trices qui ont abandonné les libéraux ont voté pour la CDU/CSU, et c’est ce qui explique l’essentiel de la progression du parti de Merkel.

Le succès de Merkel est aussi largement dû à la loi électorale. Pour la première fois, une partie significative de l’électorat allemand aura voté pour un parti qui ne sera pas représenté au Bundestag. Pour la chancelière, c’est aussi un tour de force politique, puisque cela représente l’auto-neutralisation du vote eurosceptique. L’AfD a fait campagne quasi-uniquement autour de la question de l’euro. La plupart de ses élec­teurs·trices sont des par­ti­san·ne·s eurosceptiques du FDP et de la CDU/CSU, déçus par la politique européenne de la coalition sortante. Mais d’autres eurosceptiques n’ont pas déserté ces deux partis, de sorte que l’électorat eurosceptique de droite a été divisé en trois camps, dont deux restent sans représentation parlementaire.

Quant aux partis de gauche, ils profitent aussi de cette situation, puisque malgré le fait que le total de leurs pourcentages est inférieur de 3 % par rapport à celui de 2009, à 42,7 %, ils ont plus de la moitié des sièges dans le nouveau Bundestag.

 

Des élections stabilisatrices?

Etant donné que le SPD et les Verts excluent toujours une alliance avec Die Linke, la balle pour former une coalition est dans le camp de la CDU/CSU. Les négociations avec le SPD viennent de commencer, mais leur résultat le plus probable sera une nouvelle grande coalition CDU/CSU-SPD, comme en 2005–2009.

Cette perspective a réjoui les gouvernements des autres pays européens, les bureaucrates bruxellois et plus généralement les par­ti­san·ne·s de l’ordre établi. D’abord, que la CDU/CSU ne soit pas en mesure de gouverner toute seule évite à Merkel de devoir gérer un gouvernement de courte majorité parlementaire dans lequel l’influence de sa minorité eurosceptique serait démultipliée. Une coalition avec le SPD marginalisera les dé­pu­té·e·s eurosceptiques de la CDU/CSU et permettra au nouveau gouvernement d’assumer davantage sa ligne de soutien aux Etats européens en difficulté en échange de politiques d’austérité et de réformes antisociales.

En effet, depuis le début de la crise de la zone euro, l’état-major de la CDU avait des marges de manœuvre limitées par la composition de sa coalition gouvernementale. Tout en étant convaincu qu’il fallait prendre des mesures pour contrer la spéculation et éviter la faillite d’un Etat comme la Grèce, il devait aussi accommoder la frange eurosceptique de ses parlementaires en durcissant le ton. D’ailleurs, de nombreux parlementaires rebelles n’ont pas suivi le gouvernement et ont refusé de voter en faveur des plans de sauvetage européens, obligeant Merkel à dépendre de plus en plus du soutien du SPD et des Verts en matière de politique européenne.

Cet état de fait sera maintenant officialisé en quelque sorte. Le programme électoral du SPD évoque favorablement la perspective d’une mutualisation partielle des dettes publiques des Etats de la zone euro, ce que réclament les gouvernements des pays du sud de l’Europe. La CDU/CSU a durant la campagne exclu cette possibilité. La position du SPD est plus proche de ce que l’establishment allemand a probablement en tête. L’idée d’une mutualisation partielle des dettes publiques a été mise en avant en 2011 par le comité des conseillers économiques du gouvernement fédéral.

L’idée que l’influence du SPD infléchira la politique européenne de l’Allemagne vers une attitude plus clémente a été exprimée par le premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker, le soir du 22 septembre. Dans une interview au magazine Spiegel, Juncker a dit s’attendre à ce que le nouveau gouvernement allemand adopte une «approche moins dure» et, tout en étant chrétien démocrate lui-même, a chanté les louanges de l’attitude du SPD à propos de la crise de la zone euro.

Les résultats des élections allemandes vont donc avoir un effet stabilisateur sur la situation politique européenne. Après les indices de redressement de l’activité économique en Europe qui sont apparus depuis l’été, ces résultats sont un développement de plus qui permet aux classes dominantes du continent de souffler.

 

Christakis Georgiou