Nuits lausannoises et hystérie sécuritaire

« Les policiers vaudois s’entraînent à Mai 68 », titrait en Une le quotidien « 24 Heures » jeudi 19 septembre. Ladite insécurité de la vie nocturne lausannoise n’en finit plus de nourrir les colonnes de la presse sensationnaliste vaudoise, qui fait un amalgame idéologique avec l’héritage des mouvements sociaux et contre-culturels des « années 68 », réduisant ces dernières à de simples débordements.

 

L'article souligne ainsi que pour faire face aux dangers publics qui seraient posés par les nuits lausannoises, les as­pi­rant·e·s de l’Académie de Savatan (gendarmes, inspecteurs, policiers militaires et futurs policiers municipaux) sont allé·e·s s’exercer dans le centre national d’entraînement des forces de gendarmeries de Saint-­Astier (Bordeaux) créé pour répondre aux débordements qu’avaient occasionné les luttes sociales de Mai 68. En donnant un large écho à cet événement, les médias vaudois dominants alimentent une nouvelle fois l’idée que devant les incidents commis autour des lieux nocturnes lausannois, il n’y aurait que deux réponses possibles : la répression et/ou l’interdiction. La conseillère d’État Jacqueline de Quattro (PLR) n’hésite d’ailleurs pas à enfiler sa tenue de combat pour passer quelques jours avec ses troupes en France pour leur apprendre à manier la matraque, réalisant au passage une opération de communication sécuritaire. La magistrate PLR semble au diapason de la ligne politique développée par la Majorité rose-verte à Lausanne, où le nouveau chef de la police socialiste, Grégoire Junod, se pose en Manuel Valls de province : interdiction partielle de la mendicité, opérations policières à répétition contre les dealers, mesures d’interdiction de périmètres contre les personnes dites marginales ou suspectées de troubler l’ordre public.

 

Pendant ce temps à Berne

Les deux énormes manifestations nocturnes bernoises des milieux alternatifs, Tanz Dich Frei, qui avaient rassemblé plus de 7000 personnes à chaque fois commencent pourtant à porter leurs fruits. Pour rappel, leurs revendications portaient sur davantage d’espace et de souplesse pour la vie nocturne. Plutôt que la répression, les autorités bernoises ont présenté des nouvelles mesures repoussant l’ouverture des bars et des terrasses jusqu’à 5 h du matin et de donner la possibilité à certaines boîtes de nuit d’ouvrir toute la nuit. Ces mesures ont pour finalités (logiques) d’éviter l’attroupement des noctambules à une même heure au milieu de la nuit. Enfin, des nouveaux espaces de fête seront mis à disposition des 16-18 ans. 

Du côté de Lausanne, une manifestation nocturne est également prévue dans ce sens le vendredi 11 octobre dès 18 h. Toutefois, contrairement à la situation bernoise, cet appel ne provient pas des milieux alternatifs, mais est porté par un collectif qui défend plutôt les intérêts des grosses boîtes de nuit lausannoises, qui doivent être sans nul doute soucieuses de préserver leurs juteux profits. La manifestation dénommée Touche pas aux nuits lausannoises convoque d’ailleurs des idées pour le moins problématiques. Les dix revendications mises en avant appellent à une libéralisation des horaires, des décibels, des endroits de fêtes, des ventes d’alcools et de la consommation des drogues douces dans une optique purement marchande. Mais elles appellent aussi à supprimer la taxe sur le divertissement – une revendication portée de longue date par la droite lausannoise – tout comme à une «présence policière efficace (…) pour protéger les noctambules et mettre hors d’état de nuire les individus violents, les voleurs et les dealers». Le slogan de la manifestation représente d’ailleurs bien l’ancrage populiste des organisateurs : « Junod nettoie tes rues pas nos clubs! »

Il est à espérer que des acteurs d’une vie nocturne alternative se mobiliseront pour défendre un autre message, celui de la nécessité d’endroits qui ne soient pas axés sur la logique du profit et de la consommation, mais qui ont visée autant culturelle que sociale. 

 

Jorge Lemos