Gaz de schiste

Gaz de schiste : Où sont les problèmes?

Les hydrocarbures non-conventionnels, ou gaz et huiles de schiste, ont sensiblement la même composition que le gaz naturel et le pétrole courants, mais ils différent par leur localisation, au sein de roches profondes, peu poreuses et peu perméables.

 

Il n’est pas possible de les extraire par pompage, la seule technique actuellement opérationnelle pour le faire est la fracturation hydraulique : on réalise un forage vertical à 2 ou 3000 m de profondeur, prolongé par un forage vertical pour pénétrer la veine de schistes que l’on fissure, avec un mélange d’eau sous très haute pression et d’additifs chimiques souvent toxiques, pour permettre aux hydrocarbures de remonter. 

Outre la consommation considérable d’eau (10 à 20 000 m3 par fracturation), qui conduit actuellement à des pénuries graves au Texas par exemple, la migration, au travers des forages et des failles naturelles, du gaz produit et des substances chimiques injectées a provoqué aux Etats-unis, où la technique est utilisée abondamment, des pollutions de l’eau et de l’air confirmées par l’Environmental Protection Agency, avec des conséquences sur la santé humaine et animale.

De plus le gaz de schiste est principalement constitué de méthane, un gaz à effet de serre 20 à 30 fois plus dangereux que le gaz carbonique, et le cumul des fuites sur les champs de forages et des émissions lors de la combustion rend ce gaz plus polluant que le charbon, selon les études de l’Université du Colorado et de la National Athmospheric and Ocean Organisation.

 

Europe: les explorations se heurtent à une forte résistance

On objectera que l’exploitation de ces hydrocarbures depuis plus de dix ans aux Etats-unis aurait permis à ce pays de devenir le premier producteur mondial de gaz, au prix d’un paysage mité par des centaines de milliers de forages, et de « booster » l’industrie chimique. Certes, mais la production massive a fait chuter le prix du gaz en dessous des coûts de production et selon Bloomberg Businessweek le déclin de cette activité a déjà commencé. 

Les principales compagnies pétro-­gazières annoncent d’ailleurs des résultats plutôt mornes et des dépréciations de leurs actifs. Il faut dire que la durée de vie des forages s’avère très courte (2 à 3 ans) et les entreprises sont entraînées dans une fuite en avant pour réaliser sans arrêt de nouveaux forages, au point que le New York Times a pu parler de « pyramide de Ponzi ».

Malgré (ou à cause ?) de ces problèmes, les industriels européens poussent leurs gouvernements à aller de l’avant. Les premières explorations en Pologne s’avèrent bien en dessous des espérances, mais le gouvernement persiste malgré le retrait de trois compagnies, dont Exxon Mobil, et la résistance des paysans. 

L’Angleterre tente aussi des explorations, en dépit d’une forte opposition des populations. L’Allemagne, dont le gouvernement fédéral est tenté, attend prudemment les prochaines élections. En France, la recherche d’hydrocarbures par fracturation hydraulique est interdite, mais la bataille juridique et médiatique fait rage pour faire abolir cette loi. Devant le forcing de l’entreprise Hess Oil qui a commencé des forages litigieux en Région Parisienne, des militant·e·s ont occupé la plateforme de forage de Jouarre le 21 septembre. La Bulgarie maintient quant à elle son moratoire. 

En Suisse, les cantons de Fribourg et de Vaud (où un forage de recherche a déjà été réalisé à Noville en 2009) ont institué des moratoires, le Conseil d’Etat de Genève vient d’interdire les gaz de schiste et la mobilisation s’organise à Neuchâtel (menacé par un projet à Noiraigues).

 

Une transition énergétique indispensable

Partout, y compris aux Etats-unis malgré les clauses de silence imposées par les contrats de location de terrain, la résistance s’organise. Les mouvements partent de la base, c’est-à-dire des populations directement confrontées aux forages, qu’elles soient bourgeoises comme en Angleterre ou paysannes comme en Pologne. 

En France le mouvement a démarré fin 2010 dans les Cévennes, et la convergence des « collectifs » populaires avec les organisation écologistes a permis de mailler l’action sur tous les territoires concernés. Avec des projections du film Gasland, des débats, des manifestations de rue, des interpellations des élu·e·s, etc., la mobilisation de la population, essentiellement en milieu rural, et de ses élu·e·s de terrain, toutes tendances confondues, a permis le vote de la loi d’interdiction en juillet 2011. 

Mais la vigilance reste forte devant le lobbying des entreprises, qui cherchent à contourner ou faire annuler l’interdiction, et les atermoiements du gouvernement. En Haute Savoie et dans l’Ain des convergences se sont mises en place avec les mouvements et élu·e·s écologistes de la Suisse voisine.

L’enjeu est bien entendu la défense de l’environnement immédiat, mais aussi l’environnement global en termes de réchauffement climatique : la mise sur le marché de nouveaux hydrocarbures aurait pour conséquence un ralentissement de l’indispensable transition énergétique. 

Il faut d’ailleurs se demander si l’insistance des entreprises européennes pour nous engager dans une aventure dont la rentabilité est loin d’être assurée, n’a pas pour objectif principal de retarder au maximum cette transition qui, avec une consommation plus sobre et plus efficace associée au recours à des énergie renouvelables plus faciles à contrôler localement, mettrait à mal leur toute puissance et leurs profits.

 

Jacques Cambon