Miley Cyrus et le twerk

Miley Cyrus et le twerk : La danse, enjeu de genre et de racisme

Au MTV Music Awards, grand show de l’industrie musicale américaine présentée sur la fameuse chaîne, une performance a retenu toute l’attention par sa forte charge sexuelle. Au delà de l’aspect « people », cet événement a donné lieu à des débats âpres, notamment au sein des milieux féministes, mettant en lumière les différents enjeux, souvent voilés, de la pop.

Miley Cyrus est une jeune chanteuse, sortie de l’écurie Disney. Comme ses célèbres aînées auparavant, Britney Spears et Christina Aguilira, sa musique et son image sont en train d’être modifiées pour transformer son style de fille sage à celui de bombe sexuelle. Ce changement de posture s’est exprimé, de toute sa force et de toute sa maladresse, dans une performance lors des MTV Music Awards. Sur le tube de cet été, le très sexiste Blurred Lines dont le clip montrait déjà les chanteurs entourés de femmes nues, sa performance consistait à mimer différents actes sexuels avec ses danseuses, tirer la langue constamment et danser le twerk avec le chanteur, Robin Thicke. Le twerk est une danse fortement sexualisée consistant, en gros, pour la fille à se pencher en avant, dos à l’homme, et de secouer ses fesses. 

 

Salope avec fierté

Tous ces éléments peuvent ne sembler être que du scoop pour journaux people. Néanmoins, ce qui rend cet événement intéressant, c’est que cette performance a été vue par un nombre important de personnes et surtout qu’elle a lancé un débat passionnant, notamment auprès des jeunes. Ainsi, alors que trop souvent le sexisme de la musique pop reste peu condamné ou même simplement débattu, ce twerk a donné lieu à un large débat populaire touchant de nombreux aspects relatifs tant aux questions de genre qu’aux formes de racisme. 

Après des premières réactions d’indignation pointant la vulgarité de la performance, des critiques féministes se sont d’abord fait entendre. Ces dernières dénonçaient ces réactions comme une forme de «slut shaming», pratique consistant à moquer et insulter les filles adoptant une attitude sexy ou provocante. La critique féministe tient à affirmer que les femmes n’ont pas à suivre de codes dictés et peuvent choisir leur façon de s’habiller et de se comporter sans se soumettre ni à la morale ou à la peur imposée par la société machiste. C’est le type de positions qui a été rendu populaire par des mobilisations comme la «marche des salopes». Le problème dans la condamnation de la performance de Miley Cyrus tient au fait qu’elle est totalement dépendante de son sexe. En effet, user de ses danseuses comme des objets sexuels, adopter une posture agressive sexuellement, sont ce que font constamment les pop stars masculines. Miley Cyrus exprime sa célébrité et son pouvoir de la même façon que les hommes. Que la qualité de sa performance puisse être mise en doute, cela va de soi. Par contre, les critiques qui lui sont adressées reflètent la vision misogyne du monde de la pop où si une femme agit comme un homme, elle n’est plus une star provocante, mais plus qu’une salope honteuse ou dangereuse.

 

Erotisation racialisée

Si cette première critique féministe touche juste dans le droit de Miley Cyrus à adopter l’attitude qu’elle souhaite et le caractère sexiste des critiques qui lui sont adressées, elle méconnait un aspect problématique de cette performance. C’est ce qu’ont dénoncé de nombreux blogs, relançant la critique du racisme au sein du mouvement féministe et de la nécessité de comprendre l’intersectionnalité des différentes formes de discriminations, démontrant une fois de plus tout l’actualité des combats du Black feminism. Ce dernier recouvre, selon Elsa Dorlin dans l’anthologie Black feminism Revolution! La Révolution du féminisme Noir!, «la pensée et le mouvement féministes africains-américains en tant qu’ils diffèrent du féminisme américain ‹en général›, précisément critiqué et reconnu pour son ‹solipsisme blanc›, héritier malgré lui de la fameuse ‹ligne de couleur› produite par les systèmes esclavagiste, puis ségrégationniste ou discriminatoire, encore à l’œuvre dans la société américaine contemporaine.»

Ici, ce qui est dénoncé, c’est le fait que certaines féministes affirment leur solidarité complète avec Miley Cyrus, en critiquant à juste titre le processus de slut shaming, mais sans tenir compte des aspects racistes de sa performance. Si la jeune pop star essaie bien d’érotiser sa musique et son image, elle le fait en usant des corps noirs, réduits ici au statut de simple objets sexuels. Ainsi, elle traite ses danseuses, qui sont toutes afro-américaines, comme des prostituées, n’ayant comme seule interaction avec elles que de leur claquer les fesses. Miley Cyrus choisit, comme stratégie pour exprimer sa sexualité nouvelle, de s’associer aux différents préjugés liés aux femmes de couleur, reproduisant ainsi la vision qui fait d’elle des femmes forcément lascives et à la sexualité débridée.

Miley Cyrus tente de s’approprier ce surplus de sexualité des femmes afro-américaines en en copiant, assez maladroitement, la façon de bouger les bras et de danser, le fameux twerk. Un tel comportement tend bien à renforcer l’idée que la sexualité fait partie de la nature des femmes afro-américaines, par essence incontrôlables et lubriques. Cette forte dimension raciste du show de Miley Cyrus ne doit être tue au nom du refus féministe du slut shaming.

D’autre part, il est à noter que même si la culture afro-américaine a ainsi été sans cesse mimée ou reprise lors de cette remise de prix, aucun artiste afro-américain n’a reçu de MTV Music Awards cette année…

 

Pierre Raboud

 

Pour plus de détails et d’analyses : groupthink.jezebel.com/solidarity-is-for-miley-cyrus-1203666732