Exploitation humaine, profits: un monde dont nous ne voulons plus

Exploitation humaine, profits: un monde dont nous ne voulons plus


En 1982, Mohamed Aït Ameur est salarié de l’ ADCO (Abu Dhabi Company for Onshore oil Operations), dont 60% des parts sont détenues par le gouvernement des Emirats Arabes Unis (E.A.U.), quand il est victime d’un accident du travail qui le laisse tétraplégique.



L’extrême proximité de la compagnie pétrolière et du gouvernement des Emirats Arabes Unis s’incarne dans le rôle joué par l’émir, Cheikh Zayed Bin Sultan Al Nayan, president de la Fédération des Emirats Arabes Unis et émir d’Abu Dhabi. Avec Barheïn et le Qatar, la Fédération des Emirats Arabes Unis fait partie des alliés inconditionnels de Washington, accueille ses bases militaires, ses agents du FBI et de la CIA, ses marchands de canons et autres experts. Super- lourds de la mondialisation et un des principaux producteurs mondiaux de pétrole, les Emirats Arabes Unis ont investi des milliards de dollars à Wall Street, ce qui ne les empêche pas de manquer d’élégance quand il s’agit du petit personnel.



Rapatrié en France pour sa rééducation, Mohamed apprend qu’il est rayé des cadres de la société ADCO alors qu’on l’avait assuré de sa réintégration. Cent vingt sept mille dollars ont été virés sur son compte, un dédommagement final qui, pour ADCO, intègre tout: licenciement et dommages corporels. Seul, Mohamed entreprend alors des démarches par courrier pour que ses droits à percevoir une pension à vie soient reconnus et pendant plus de dix ans, ses lettres restent sans réponse. Pourtant, en mars 84, les autorités de la Fédération des E.A.U. reconnaissent tous les neuf points du dossier socio- médical de Mohamed. Il change de stratégie et décide d’une action plus visible en campant devant les hôtels et résidences du cheikh Zayed Bin Sultan Al Nayan.

Négociations genevoises


En septembre 1999, alors qu’il proteste en silence devant l’hôtel Intercontinental de Genève, le cheikh Zayed donne l’ordre d’aller régler le problème. Jean Ziegler, rapporteur spécial des Nations Unies à la commission des Droits de l’homme, négocie un protocole avec le cabinet du président. Les autorités des E.A.U. prennent en considération seulement 3 des 9 points du dossier sociomédical, préférant par exemple retenir le coût d’une poche urinaire plutôt que celui d’un véhicule aménagé nécessaire à Mohamed.



Malgré les profits colossaux que les compagnies pétrolières font sur le dos de leurs salariés et des consommateurs, elles savent à l’occasion se montrer bien mesquines et le cynisme de l’ADCO en dit long sur la réalité des rapports d’exploitation.

Droit d’être entendu: 6 minutes


Mohamed avait reçu, la promesse d’une réponse sous 30 jours mais il a du attendre un an pour s’entendre dire que le gouvernement des E.A.U. l’invitait à se présenter devant les tribunaux, la position officielle étant à présent que son cas relève «des autorités législatives». Ces gens- là n’ayant pas un goût prononcé pour la lecture des rapports d’expertises médicales, on lui a demandé de s’exprimer sur une cassette audio, à condition qu’elle n’excède pas 6 minutes!



A Abu Dhabi, on surnomme le cheikh Zayed le «cheikh écolo». A la façon dont le gouvernement et l’ADCO, traitent les hommes, on peut nourrir les plus grandes réserves sur la réalité des préoccupations écologiques du cheikh.



Mais l’attitude intransigeante adoptée a un sens : il s’agit de faire un exemple, pour ne surtout pas créer un précédent qui donnerait de mauvaises idées à d’autres salariés. D’ailleurs , en novembre 1995, dans un courrier adressé à Michel Jobert, le premier à avoir apporté son soutien à Mohamed et à le sortir de l’anonymat, le cabinet du gouvernement avait déclaré que «aucune indemnité à vie ne devrait être accordée à la suite d’un accident du travail, ni aux Emirats, ni ailleurs». Non seulement la Fédération des Emirats est un des pays qui a ratifié le moins de conventions internationales du travail, mais c’est un état à qui on a confié la présidence de l’Organisation Internationale du Travail en 1998.



En 1998, lors d’un de ses sièges silencieux devant les résidences françaises du cheikh, Mohamed s’est vu proposer une somme 5000 dollars, en liquide, qu’il a bien entendu refusée.



Le 11 mai 2002, les militants hauts-savoyards de la LCR qui accompagnaient Mohamed et qui avaient convoqué la presse devant une des propriétés du cheikh, à Maxilly sur Léman, ont assisté à une scène dont la bassesse n’a pas échappé aux témoins présents: le conducteur d’une énorme berline allemande immatriculée en Suisse qui sortait de la riche demeure jeta une pièce de 20 centimes en direction de Mohamed, accompagnée de propos méprisants. Un geste qui résume parfaitement l’ attitude féodale qu’un état très engagé dans la mondialisation capitaliste aimerait exporter au reste de la planète.


Aujourd’hui, Mohamed demande que le cheikh honore la parole qu’il a donnée; il continue à revendiquer une pension à vie permettant une prise en charge, dont la base de référence doit être la juridiction française.



Il a un comité de soutien à Vétraz- Monthoux (74), où la famille du cheikh a une résidence.



Il est également soutenu par Droits Devant!, la LCR et de nombreuses personnalités (dont B. Tavernier, A. Jacquard, le professeur Schwarzenberg, G.Perrault, J. Ziegler, A. Ben Bella,…) et mobilisés, ensemble, nous posons la question: combien vaut une vie humaine?



Maryse Creveau