Guerre pour la terre, terre pour le profit
Guerre pour la terre, terre pour le profit
De moins en moins nombreux sont ceux qui croient encore que linvasion et loccupation militaire israélienne cherche à combattre le «terrorisme» palestinien pour en protéger le peuple. Si tel était son but, les armes high-tech de loppresseur et les bombes artisanales des opprimés se seraient déjà tues faisant place aux armes plus efficaces de la raison: la discussion, la conciliation, la solidarité. Quelle est alors la raison de lacharnement, permanent depuis un demi-siècle, de lEtat Israélien à harceler un peuple voisin et sans défense?
Laccumulation de capitaux pour une bourgeoisie minoritaire en est la cause. Elle passe par la conquête des nouvelles terres nécessaires à laccroissement de la production de marchandises agricoles dont lexportation est source de profits. «Lopération «Mur de protection» est une très longue histoire, dont lessence est le retour du règne israélien sur tous les territoires palestiniens»1.
Misère palestisraélienne
Si la population israélienne semble faire front derrière Sharon et ses sbires, cest que les divergences dintérêts en son sein sont savamment masquées par lidéologie sioniste: «on est tous dans le même bateau, ramons ensemble vers le paradis perdu et luttons tous contre lennemi commun». Pourtant la belle unanimité se fissure au fur et à mesure des doutes, des peurs et des défaites: pourquoi tant de misère en Israël sans même parler de celles des Palestiniens, victimes dune même exploitation? Car dun côté comme de lautre des checks points, des murs de béton, des clôtures de barbelés et des barrières de haine, ces peuples souffrent de plus en plus. Aujourdhui, «le nombre officiel dIsraéliens vivant sous le seuil de pauvreté dépasse désormais le chiffre de 1,1 million, soit le sixième de la population»2 et de lautre côté des murs : «depuis 2000, le nombre de Palestiniens vivant au-dessous du seuil de pauvreté [
] a doublé pour atteindre 50% de la population. Le chômage a triplé et frôle 30% des actifs»3. Quelle soit israélienne ou palestinienne la grande majorité de la population pâtit de plus en plus du sionisme mais leur condition dexploités les unit et de plus en plus la prise en charge commune de leur intérêts vitaux simpose et soppose à la confiscation de leur pouvoir par les Sharon, Bush et, toutes proportions gardées, par Arafat.
LIsraël du capital
Cest un tout petit Israël, peuplé dune minorité de nantis, parrainé par une diaspora lointaine qui vénère le Dieu argent autant quelle, protégée par une armée quelle manipule et exploitant son propre peuple quelle méprise. Piètre idéal: laccumulation privée de richesses est sa seule raison dêtre. Laccumulation de capitaux passe par celle de la surproduction de marchandises et celles-ci par laccaparement des ressources naturelles et humaines nécessaires à les produire. Au palmarès des profit «Made in Israël», la ressource la plus rare de la croûte terrestre, les diamants pillés principalement en Afrique du Sud vestige de lApartheid , transitant par la Suisse, taillés en Israël et vendus dans le monde entier. Ce trafic représente le quart de la valeur des exportations de la bourgeoisie israélienne et des bénéfices
de taille.
La terre source de profit
Laccumulation du capital par la marchandisation des produits de la nature est tout aussi rentable. Leur exportation représentait en 2001 le 75% du tonnage et ce business est en expansion: «Israël déclare une forte augmentation de sa production de fleurs coupées: elle a produit 460 millions de roses en 1997-98, soit 35% de plus quen 1995-1996»4. Les exportations israéliennes de produits agricoles et sylvicoles en Suisse (fleurs coupées ou en pots, fruits, légumes, etc) valaient 40 millions de FS en 2001, soit le 10% de la valeur des exportations. La boulimie de profits tirés du marché florissant et nourrissant, qui inonde les étalages des «garden-center» et autres supermarchés des pays nantis ne peut saccroître sans conquérir de nouvelles terres. Certes le capital agricole a concentré à outrance sa production dans des serres sur-cultivées où la place est si étroite que les travailleurs doivent en cueillir les fruits couchés sur le dos et se déplaçant sur des chariots. Pour accroître encore létendue de la prétendue «Serre de lEurope», Israël sacharne à étendre son jardin et cest là le seul but de la sale guerre de Sharon le conquérant. «Le nombre de colonies israéliennes dans les territoires occupés, à lexclusion de Jérusalem Est, a augmenté en 2001 de 24,6 %. La population des colons a augmenté de 5.9 % en 2001 après avoir augmenté de 7,9 % en 2000, soit une progression beaucoup plus rapide que celle de la population israélienne: 2,6%»5 . Israël cumule 157 colonies habitées par 383600 colons en Cisjordanie et à Gaza6.
Encore faut il que les exportateurs sassurent le monopole du marché. Pour ce faire Israël entrave toute concurrence palestinienne en détruisant les cultures et les infrastructures, en bloquant les voies de circulation des marchandises et en les privant de leau darrosage. A Gaza, par exemple, larmée israélienne a détruit en lan 2000 quelques 1000 hectares de cultures et 112000 oliviers.
Terre = substrat + soleil + eau + travail
La production de marchandises florales et vivrière nécessite lintensification de lexploitation et lextension croissante des surfaces cultivables. Le concept angélique de «Terres des ancêtres» et de «Terre promise» cache mal ces quatre mamelles du capitalisme foncier que sont les ressources minérales, énergétiques, hydriques et laborieuses.
- Minérales: Israël squatte illégalement les terres palestiniennes en y implantant des colonies et en terrorisant les gens qui les habitent et en vivent pour faire du peu qui reste de la Palestine une «Terre sans peuple pour un peuple sans terre». Ce nest pas une exception: toutes les «terres vierges» étant explorées et occupées, il reste au capital à sapproprier par la ruse ou la guerre celles dont les occupants sont le moins en mesure de les défendre : Chiapas, Palestine, Amazonie, réserves indigènes, etc. Mais le prétexte biblique utilisé pour étendre son domaine semble être réfuté par les archéologues qui ne retrouvent pas trace de la «Terre promise»: «Comment continuer à fonder des droits politiques et territoriaux sur des mythes ou des constructions littéraires alors même que les populations arabes et musulmanes se voient reprocher davoir recours à des légendes [ ] pour légitimer des désirs de conquête et dimplantation? »7.
- Energétiques: la force de travail de la nature cest le soleil sans lequel aucune production agricole nexisterait. Cest lensoleillement exceptionnel des terres palestiniennes qui fait quelles soient si convoitées. LEurope, et la Suisse en particulier, en manquent : «Au total, la Suisse doit importer 60% de lénergie solaire contenue dans les biens et les services directement ou indirectement consommés par la population du pays»8.
- Hydriques: lagriculture israélienne absorbe le 75% de la consommation deau disponible. En Palestine, à peine plus de 10% des terres cultivables sont irriguées alors que près de la moitié le sont en Israël9. Linégalité daccès à cette ressource est flagrante: «La consommation moyenne des Palestiniens dans les territoires occupés est comprise entre 12 et 40 litres par personne et par jour, tandis que chaque Israélien consomme en moyenne entre 350 et 400 litres par jour»10. Le bombardement des puits, la destruction des canalisations dadduction deau et dirrigation par les tanks de Tsahal permettent à la fois de museler la concurrence palestinienne et den affamer les habitants.
- Laborieuses: bien que lagriculture fortement mécanisée Israël produit et exporte moult machines agricoles dont des robots pour cueillir les fruits , la main duvre reste indispensable. Le 20 à 25% de la population des territoires occupés travaillait en Israël principalement dans lagriculture et la construction11. Mais cette main duvre, considérée comme potentiellement «terroriste», peut être remplacée par les millions de bras forcés démigrés forcés des régions du monde appauvries, quils soient juifs ou non. Ainsi le bouclage des territoires, les interminables pertes de temps des travailleurs aux check points et même le «Transfert» de populations hors de Palestine, pourrait ne pas poser de problèmes majeurs pour la captation de plus-value. Israël est certes un «fait colonial» mais «comme lAustralie ou les Etats-Unis, le pays est né dune conquête, de lexpropriation des autochtones. En revanche il nest pas, contrairement à lAfrique du Sud de lapartheid, une «société coloniale», une société qui a besoin d«indigènes» pour survivre»12.
Intifada économique?
Les raisons écologiques suffiraient à justifier le boycott de tous les produits de la terre éloignés du lieu de leur consommation. Le coût énergétique de leur conditionnement, leur réfrigération, leur transport, le plus souvent par avion, est exorbitant. Les fruits et les légumes qui garnissent nos assiettes sont le produit de lénergie solaire certes mais aussi du pétrole nécessaire à leur culture, leur transport mécanisé, leur conversion et conservation. Il faut 1 litre de pétrole par kilo de légumes cultivés sous serre et 5 kilos de kérosène par kilo de fleurs ou de légumes exotiques transportés par avion13. La surproduction et surconsommation de plantes dornement et de fleurs coupées «à jeter» que lon retrouve dans les ordures et les décharges conduirait à la même décision de boycottage dun marché écologiquement absurde.
Mais le boycott peut aussi se justifier par le fait quune large part des produits de la soi disant terre dIsraël croissent sur des terres palestiniennes accaparées. En achetant ces produits volés, les consommateurs des pays nantis cautionnent indirectement le colonialisme israélien. A la décharge des consommateurs il faut bien reconnaître que lidentification des produits volés par Israël est souvent impossible. Intentionnellement ou non, leur étiquetage indiquant leur provenance est absent pour nombre de plantes et de fleurs et les «jardiniers» des Coop, Migros et autres sont souvent incapables de renseigner le client. Plus grave, leur traçabilité le code barre commençant par 729
est trop souvent trompeur en indiquant une provenance israélienne pour des produits cultivés en Palestine dans les territoires occupés.
Si le boycott est une arme à double tranchant, il permet douvrir un débat public sur lescroquerie de la production agricole israélienne. Ce moyen est fort efficace comme la démontré laudience de lexcellent documentaire de Renaud Dumesnil: «La production agricole israélienne dans les colonies» de la TSR. Remettre en question dans les assemblées, sur les stands, devant les grandes surfaces, lescroquerie du marché dexportation agricole dIsraël permet daider la population à prendre conscience des raisons de la guerre, de loccupation et de la misère et lengager ainsi à défendre la cause des opprimé-e-s palestisraélien-ne-s.
François Iselin
- D. Rubinstein, spécialiste des territoires occupés pour Haaretz, cité par Le Monde, 18.4.2002.
- Le Monde, 10-11.2.2002.
- Le Monde 18.4.2002.
- http://www.agr.ca/
- BIT, Rapport sur la situation des travailleurs des territoires arabes occupés, Genève, juin 2002, p. 20.
- Le Monde, 31.3. 2002.
- Henri Tincq, Deux archéologues contestent la réalité historique de la Bible, Le Monde 7.6. 2002.
- Häberli et al. Objectif qualité de la vie, Rapport final du Programme Prioritaire Environnement Suisse, Georg, 2002. Nous reviendrons dans un prochain article sur les notions fondamentales d«empreinte» et de «dette écologique».
- Atlaséco, 1999
- Palestine Solidarités, avril 2002, p. 9
- Atlaséco, 1999
- Alain Gresh, Israël, Palestine, vérités sur un conflit, Fayard, 2001
- R. Häberli et al. cité.