Chelsea Manning

Chelsea Manning : Qui a le droit de savoir quoi sur qui

La cour martiale américaine a finalement condamné à 35 ans de prison Bradley Manning, qui répond désormais au nom de Chelsea Manning, suite à sa volonté de devenir une femme. Retour sur ce procès qui voit se déchainer la répression face au droit à l’information.

Il y a de ça 3 ans, Manning avait transmis à Wikileaks une som­me de documents exposant les agissements intolérables de l’armée américaine envers la population civile. La plus connue de ces vidéos montrait des troupes américaines tirant à plusieurs reprises sur des civils, tuant onze personnes, dont deux journalistes, le tout sur fond de plaisanteries sordides proférées par les soldats. Manning se voit aujourd’hui reconnue coupable d’une longue liste de délits. Et avant même ce jugement, elle fut emprisonnée dans des conditions proches de la torture (selon un rapporteur de l’ONU), passant neuf mois en confinement individuel, subissant des privations de sommeil et devant dormir nue. 

 

Le crime moins grave que sa dénonciation

 

Pour mesurer la hargne à l’œuvre dans ce procès, il suffit de considérer le fait que sa peine est cinq fois plus longue que celle prononcée envers Charles Garner, qui a torturé et agressé sexuellement des prisonniers dans la prison d’Abu-Ghraib. Malgré le caractère évident des crimes rendus publics par les documents fournis par Manning, personne n’a été inculpé pour ces derniers. La justice militaire américaine considère ainsi que le meurtre de civils reste bien plus tolérable que le fait de révéler ces meurtres. 

Le traitement sévère réservé à Manning ne représente pas un cas isolé. Il fait suite à une véritable chasse au niveau international visant le fondateur de Wikileaks, Julian Assange, ou encore Edward Snowden. L’administration Obama détient le record du plus grand nombre de personnes poursuivies pour fuite d’informations par l’Etat américain depuis 1917. Ces « fuites » représentant une source inestimable pour le journalisme d’investigation, cette répression démontre la forte volonté du gouvernement américain d’exercer un contrôle sur le journalisme. La probable condamnation de Glenn Greenwald, le journaliste qui a relayé les informations fournies par Snowden, ne fait que confirmer cette dynamique.

A l’ère digitale, la facilité à partager, chercher, stocker ou récupérer des informations ne fait qu’augmenter. Cette révolution technologique ne peut que déstabiliser les relations historiques du pouvoir, organisé autour du contrôle et de la production des savoirs, à travers trois champs principaux : d’abord le monde bourgeois de la connaissance sociale vis-à-vis de l’action gouvernementale, incarnée dans des institutions comme le journalisme, les archives nationales, le droit à l’information, les normes de transparences, etc.?; ensuite la production de savoir par l’Etat sur les populations via la surveillance policière, les bases de données, l’espionnage, etc.?; enfin, un champ plus récent et moins institutionnel de données à grande échelle, collectées par des entreprises privées, comme Google et Facebook, qui rassemblent et manipulent des flux massifs de donnés personnelles en cherchant à en tirer profit. La tendance actuelle est à la criminalisation des pratiques liées au droit à l’information d’un côté, et de l’autre à la normalisation de la surveillance gouvernementale et de l’intrusion de firmes dans les sphères privées. Cela n’enlève rien à l’importance cruciale de tels combats. Il existe un espace pour créer de larges coalitions et rendre possibles de futures victoires. 

De son côté, Chelsea Manning est désormais engagée dans un double combat : pour sa liberté et pour la reconnaissance de ses droits en tant que transgenre, face au système carcérale américain. Son cas représente un combat aux implications politiques gigantesques et exige donc un soutien international qui soit continu et déterminé.

 

Gabriel Ash

Texte traduit et édité par la rédaction