Les nègres et les chiens ne sont pas admis!

Début août l’Office fédéral des migrations (ODM) annonçait l’ouverture à Bremgarten, dans le canton d’Argovie, d’un centre fédéral pour requérants d’asile dans des bâtiments situés sur une place d’armes, centre destiné à accélérer les procédures d’asile avec, pour objectif déclaré, une accélération des renvois. 150 personnes y seront encasernées, dans les faits, détenues. Ce centre est le premier centre fédéral mis en place après l’acceptation de la dernière révision de la loi sur l’asile, début juin 2013, qui avait encore péjoré une législation déjà discriminatoire et contraire aux droits fondamentaux. Or, en ces matières, ce premier centre est tout à fait exemplaire ! 

La convention signée par l’ODM avec la commune de Brem­garten et le Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS) constitue un paradigme parfait pour illustrer l’évolution des politiques migratoires des Etats, dans la phase actuelle du néo-capitalisme : politiques autoritaires mettant en œuvre, avec une brutalité toujours plus décomplexée, des mesures d’exclusion vis-à-vis de secteurs « marginalisés » de la population (re­qué­rant·e·s d’asile, chô­meurs·euses, invalides, précaires, en particulier), politiques garantissant, dans tous les domaines possibles et sans aucun fard, le profit des entreprises privées. Ces politiques sont appliquées, sans état d’âme, aussi bien par des politiciens bourgeois que sociaux-démocrates au pouvoir. Dans ce cas, c’est la conseillère fédérale socialiste Simonetta Sommaruga qui est à la barre.

A Bremgarten, ce sont des entreprises privées qui vont prendre en charge le logement, les tâches de sécurité et d’encadrement ainsi que l’occupation des re­qué­rant·e·s d’asile. L’asile est devenu un « business » tout à fait rentable, l’Etat sous-traitant ces tâches à des entreprises qui verseront à leur personnel des salaires bien inférieurs que ceux des em­ployé·e·s de la fonction publique, avec des conditions de travail bien plus précaires ! En matière d’encadrement et d’emploi, les re­qué­rant·e·s d’asile seront assignés à des tâches telles que le nettoyage des rives ou des travaux d’entretien des aires de repos et des chemins pédestres. Une main d’œuvre quasi gratuite, corvéable à merci, soumise à une forme de travaux forcés, permettant aux collectivités publiques de réaliser des économies. Tout bénéfice, à la fois pour les entreprises privées et l’Etat. C’est la politique du gagnant-gagnant, un exemple de partenariat public-privé, vanté aussi bien par la droite que par la gauche institutionnelle !

Pour la sécurité, la convention signée par l’ODM , la commune et le DDPS prévoit, au cahier des charges de l’entreprise sous-traitante, «qu’un dispositif global de sécurité avec une  surveillance permanente et des patrouilles régulières dans les alentours (du centre) devra être mis en œuvre». Une place d’armes deviendra ainsi le terrain d’exercice pour des rambos privés ! La politique d’asile permet le recyclage et la privatisation d’ouvrages militaires, tombant à point nommé pour donner une nouvelle légitimité à l’institution militaire et mieux faire passer ses coûts exorbitants. L’hébergement des re­qué­rant·e·s d’asile sera organisé par l’ODM, en collaboration avec le DDPS et armasuisse. Que cache cette curieuse dénomination ? armasuisse est le centre de compétences de la Confédération pour les acquisitions, les technologies, l’immobilier ainsi que les géodonnées, c’est une entité du DDPS. De véritables spécialistes y organisent la vie de caserne et son règlement arbitraire.

En matière de liberté de mouvement, la convention prévoit que les autorités communales de Bremgarten peuvent interdire aux re­qué­rant·e·s d’asile tout accès aux installations scolaires et sportives (comme une piscine), du lundi au vendredi, de 7 h à 18 h. Un véritable périmètre d’interdiction est défini. Cette disposition a fait scandale dans les médias, à juste titre ! Une clause ouvertement raciste, s’apparentant aux normes des régimes d’apartheid. Ce ne sont pas les tentatives pathétiques de rétropédalage de la conseillère fédérale socialiste Sommaruga qui rassurent sur ce point. Cette clause serait, selon elle, «une mesure d’organisation (…) de façon à régler avec une commune l’utilisation des installations scolaires et sportives durant les heures de classe» ! Une mesure très certainement contraire à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discriminations raciales, ratifiée pourtant – avec une réserve – par la Suisse. Le gouvernement  fédéral ouvre la voie, officiellement et dans un cadre juridique exprès, à une limitation du droit d’accès à des lieux publics en raison uniquement du statut de séjour d’une personne. Quelle différence avec l’interdiction faite à l’époque aux Noirs de circuler ou de s’asseoir dans les transports publics ou sur des bancs, dans des parcs, dans les Etats ségrégationnistes du Sud des Etats-Unis ? 

La politique d’exclusion mis en application à Bremgarten à l’encontre des requérant·e·s d’asile se situe dans la veine du racisme d’Etat, en progression régulière, véritable constante de la politique migratoire helvétique. Stigmatisation et discriminations à l’encontre des Noirs, des arabes, des mu­sul­man·nes ou des roms, les politiques migratoires de Manuel Valls ou de Simonetta Sommaruga nous entraînent sur un terrain glissant, celui qui fait le lit des succès du Front National de Marine Le Pen, de l’Aube dorée en Grèce, du parti Jobbik en Hongrie ou de l’UDC de Christoph Blocher et d’Oskar Freysinger en Suisse. Il est urgent d’y faire barrage, solidairement et avec détermination !

 

Jean-Michel Dolivo