Nouvelle armée de sécurité intérieure et abrogation du service militaire obligatoire

En l’absence de scénarios de conflits militaires classiques en Europe et en raison du blocage de sa participation à des opérations à l’étranger, l’armée suisse se tourne toujours plus vers des tâches de « sécurité intérieure ».

Mais l’armée de conscription offrirait-elle une « garantie démocratique » contre l’utilisation de l’armée pour évincer des gouvernements démocratiques ou mater des mouvements sociaux ? Rien n’est moins sûr au vu du bilan historique des armées de conscription dans le monde et aussi de l’utilisation de l’armée contre le mouvement ouvrier en Suisse au 19e et dans la première moitié du 20e siècle. L’application de plus en plus partielle et sélective du service militaire obligatoire en Suisse réduit encore l’argument de la «garantie démocratique» qu’avancent certains défenseurs de l’obligation de servir.

 

Le projet d’armée à l’étranger a échoué

Le projet de « sécurité par la coopération » avec les armées occidentales s’est trouvé bloqué par le vote serré de juin 2001 sur l’armement des soldats suisses à l’étranger (51 % de OUI en raison de l’opposition conjointe du GSsA et de l’ASIN). Le coup de grâce pour la coopération militaire internationale est venu en 2009–10 avec le rejet, par une majorité parlementaire de l’UDC et d’une gauche inspirée par le GSsA (Verts et une minorité du PS) du projet de Calmy-Rey de participation de l’armée suisse à l’opération Atalante contre la piraterie au large de la Somalie.

 

L’armée de sécurité intérieure

L’orientation du projet de « Développement de l’armée (DEVA) » mis en consultation par Maurer est claire. Basée sur le concept stratégique de « Réseau national de sécurité », l’armée sera tournée vers l’appui aux autorités pour la sécurité à l’intérieur face aux « nouvelles menaces » (terrorisme, catastrophes, immigration de masse, pandémies, troubles sociaux…), tout en gardant quelques compétences dans le domaine de la défense classique. L’armée s’y prépare depuis un certain temps.

On se souviendra l’exercice «Stabilo Due» en automne 2012 et l’annonce en même temps de la création de quatre nouveaux bataillons de police militaire avec 1696 soldats à engager en cas de troubles sociaux. Le scénario de «Stabilo due» décrivait l’Europe en proie à des troubles sociaux et politiques dus à la crise. Des vagues de ré­fugié·e·s se pressaient aux frontières et à cette menace s’ajoutaient attentats et autres violences en Suisse. «Je n’exclus pas que nous ayons besoin de l’armée dans les prochaines années» répondait Maurer aux interrogations soulevées par l’exercice.

 

Pas de «garantie démocratique» avec le service militaire obligatoire

Le cas de l’Allemagne nazie constitue l’infirmation la plus évidente de l’argument de la « garantie démocratique » que constituerait l’armée de conscription : en 1935, Hitler réintroduit le service militaire obligatoire, supprimé après la défaite de 1918. Lors de la prise du pouvoir par les militaires, «le Chili et l’Argentine, la Grèce et l’Espagne, le Brésil et la Turquie avaient des armées reposant sur la conscription» (1)

Certes, dans certains de ces pays l’obligation de servir ne s’appliquait pas à tous les hommes en âge de servir, mais le principe était la conscription. Les tableaux ci-contre montrent qu’aujourd’hui en Suisse aussi l’obligation de servir se réalise de façon partielle et sélective. Les pourcentages de jeunes déclarés aptes au service militaire sont bien plus élevés dans certains cantons ruraux. Il est devenu assez facile d’éviter l’armée, comme Roger Federer l’a fait, réformé pour mal au dos…

En Suisse, même quand l’obligation de servir concernait la très grande majorité des hommes en âge de servir, la répression des mouvements sociaux par l’armée au 19e et 20e siècles le montre, l’armée de conscription était un instrument efficace au service de l’ordre. Contre la grève générale de 1918, on a engagé des unités à forte composante rurale pour occuper les villes et tirer sur les ouvriers en grève.

Aujourd’hui, on voit mal les quatre nouveaux bataillons de policiers militaires « retourner leurs fusils » face à des ma­ni­festant·e·s ou im­migré·e·s « illégaux ». D’autant qu’une forte partie des jeunes critiques face à l’autorité militaire font partie des près de 50 % de jeunes hommes n’accomplissant plus leur service militaire.

 

Tobia Schnebli

 

  1. Michel Auvray, L’âge des casernes. Histoire et Mythe du service militaire, éd. l’aube, 1998, p. 270.

Tobia Schnebli plaide ici contre certains arguments «de gauche» en défense du service militaire obligatoire. Rappelons que solidaritéS assez unanimement n’avait pas estimé qu’il était opportun de lancer ou de soutenir la récolte de signatures en faveur de l’initiative du GSsA pour sa suppression.

Nous pensions que la bourgeoisie suisse avait intérêt à une armée moderne, réduite et professionnelle comme garde prétorienne du Capital et s’accommoderait fort bien de se voir «imposer» la suppression du service militaire toujours moins universel et obligatoire. Mais à tout prendre et dans une perspective claire de suppression de l’armée nous avons été nombreux à signer l’initiative et presque unanimes à penser que notre mot d’ordre de vote du 22 septembre prochain ne pouvait être que OUI! (PV)

 


Le service militaire obligatoire en Suisse: partiel, sélectif, inégal
 

Distribution inégale de l'obligation de servir

Proportion de jeunes déclarés aptes au recrutement, par canton
AR 75,0 %
GE 55,9 %
JU 55,7 %
LU 78,2 %
NE 56,0 %
NW 79,0 %
ZH 53,8 %

 

Le service militaire obligatoire n'a rien d'universel

Catégories %
Femmes 51%
Non-Suisses 12 %
Inaptes au service 15 %
Service civil 6%
N’accomplissent pas tous les jours de service militaire 12 %
Accomplissent tous les jours de service militaire 4 %
Total 100 %

 

Calculs du GSsA. Sources: DDPS, OFS, NZZ, Sonntagszeitung