4ème conférence européenne de la gauche anticapitaliste

4ème conférence européenne de la gauche anticapitaliste


A Madrid, les 18 et 19 juin derniers, les principales organisations de la gauche anticapitaliste européenne se sont retrou-vées pour débattre du contexte politique actuel et de leurs perspectives de construction. Après mars 2000 à Lisbonne, décembre 2000 à Paris, et décembre 2001 à Bruxelles, c’était la quatrième fois qu’une telle rencontre de la gauche anticapitaliste était organisée à l’occasion d’un sommet de l’Union Européenne.



Rappelons les objectifs de ces réunions (extrait des documents de convocation):

  • «Rassembler les partis, mouvements ou alliances qui adoptent une orientation clairement anticapitaliste, internationaliste, antiraciste, féministe, dans la perspective d’un socialisme démocratique et qui, dans leur pays, oeuvrent à rassembler la gauche radicale par le dialogue et le pluralisme.»
  • «Contribuer à dégager cette alternative politique visible et crédible qui fait cruellement défaut à toutes celles et à tous ceux qui luttent au quotidien, au sein des mouvements sociaux contre la politique néolibérale, la globalisation capitaliste, la guerre impérialiste…».
  • «Viser à une collaboration efficace» entre les mouvements de la gauche anticapitaliste.

Les protagonistes et les enjeux de la Conférence


Les forces anticapitalistes d’Angleterre étaient représentées par la Socialist Alliance et le Socialist Workers Party (SWP), l’Ecosse par le Scottish Socialist Party (SSP), le Danemark par l’Alliance Rouge et Verte, l’Etat espagnol par le Courant Rouge du Parti Communiste Espagnol (observateur) et par Espacio Alternativo, l’Euskadi par Zutik, la France par la Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR), l’Italie par le Parti de la Refondation Communiste (PRC), le Luxembourg par La Gauche, le Portugal par le Bloc de Gauche, la Suisse par solidaritéS et la Turquie par le Parti de la Solidarité et de la Liberté (ÖDP). Ces organisations regroupent pour l’essentiel des militant-e-s issus de la gauche du mouvement communiste et des courants nationalistes, des différentes tendances du trotskisme, ainsi que des groupes marxistes-léninistes.



Les débats du mardi 18 juin ont porté sur l’état de la gauche alternative européenne et sur ses relations avec le mouvement contre la mondialisation capitaliste. Les échanges du lendemain ont traité plus spécifiquement des principaux enjeux de la politique de l’Union Européenne et du Sommet de Séville, sur lesquels portent la résolution finale. Nous reviendrons ici plus particulièrement sur les débats du premier jour après avoir rappelé quelques éléments du contexte général.

Une nouvelle offensive conservatrice


Dans moins de trois mois, si le gouvernement allemand «rose-vert» perd les élections de septembre, ce qui est probable, l’UE sera totalement dominée (exception faite de la Grèce et de la Finlande) par une droite agressive, xénophobe et réactionnaire, à laquelle Tony Blair s’est ouvertement rallié. Pour mémoire, il y a à peine 3 ans, la social-démocratie dominait encore 12 des 15 pays membres de l’Union…



Comme le relève le projet de résolution de la Conférence de Madrid: «La social-démocratie porte la responsabilité de ce retour synchronisé des partis de droite aux gouvernements dans presque tous les pays et à la tête des institutions de l’UE.» En effet, cela fait vingt ans qu’elle s’est ralliée à des politiques néolibérales de plus en plus dures, contribuant à accroître la précarité, la misère et le désespoir de millions de salarié-e-s, battant en brèche la conscience de classe la plus élémentaire et jetant de larges secteurs de la population dans les bras de démagogues xénophobes, racistes et fascisants.



C’est cette nouvelle donne politique qui permet à l’UE de s’engager de plus en plus clairement dans la construction d’une force militaire commune, le renforcement d’une politique migratoire ouvertement xénophobe et raciste, la consolidation d’institutions non démocratiques et la mise en oeuvre de politiques économiques et sociales réactionnaires, dictées directement par les secteurs dominants de la bourgeoisie.

Reconstruire le ciel…


Dans un tel contexte, marqué par une dégradation des rapports de force au détriment du travail, comment envisager la recomposition et le développement de la gauche anticapitaliste européenne? L’un des délégués du Parti de la Refondation Communiste (PRC) italien, Gennaro Migliore, a introduit cette discussion en insistant sur les défis que représente pour nous une participation pleine et entière au «mouvement des mouvements» (contre les effets de la globalisation capitaliste) et le développement de liens étroits avec la nouvelle génération qui le porte. Pour cela, il nous faut affiner notre compréhension des racines de classe de la globalisation capitaliste en cours. En effet, elle ouvre à nouveau la voie à un projet révolutionnaire, pour autant qu’émerge et se recompose un sujet social capable de «contester l’hégémonie de la pensée unique du marché». En cette matière, selon PRC, l’expérience des communistes comporte des limites évidentes, sur le plan organisationnel, mais aussi de culture politique.



Il s’agit donc de marcher avec la grande majorité de toutes celles et de tous ceux que le capital considère de plus en plus comme mal adaptés, anormaux et déviants… Et cette marche doit se construire à l’échelle de l’Europe, dans la lutte pour le développement d’un nouveau sujet politique conflictuel, notamment sur le terrain de la conquête des droits démocratiques et sociaux. Le mouvement de contestation de la globalisation comporte l’immense avantage de renverser les barrières traditionnelles entre Etats, entre nationaux et étrangers, femmes et hommes, producteurs, citoyens et consommateurs. En revanche, sans l’émergence d’une gauche alternative européenne le mouvement anti-globalisation peut être tenté par un certain abandon de la sphère politique…



Cette gauche alternative doit s’efforcer de renforcer l’hégémonie du mouvement social sur la société en se transformant elle-même, et non à en prendre le contrôle. «Pensez combien de grains de sable peut contenir une main ouverte, bien disposée, et combien nous en perdrions si nous nous montrions obsédés par l’idée de la refermer fortement pour faire le poing. C’est précisément dans cette myriade de grains de sable, encore sans forme définie, que réside la politique nouvelle et la possibilité de recommencer à parler de la révolution. (…) Nous ne sommes pas, comme en 68, à l’assaut du ciel, mais engagés dans la reconstruction même du ciel», a conclu le représentant du Parti de la Refondation Communiste.

Une discussion ouverte


Cette introduction a sucité une bonne discussion sur une série de questions stratégiques pour la gauche anticapitaliste européenne. Tout d’abord, comment concevoir la recomposition d’un sujet social qui exprime les intérêts d’un monde du travail plus éclaté, plus diversifié, plus féminin, plus engagé aussi dans une série de luttes apparemment détachées de la sphère productive, même s’il reste au coeur de la conflictualité face aux intérêts de classe affirmés par le capital? Plusieurs intervenant-e-s ont insisté sur la nécessité de populariser et de soutenir tout particulièrement les mobilisations qui mettent en cause l’exploitation capitaliste sous ses formes classiques et nouvelles, ceci comme condition pour la reprise d’une discussion sérieuse sur l’alternative socialiste.



Quel rôle peut jouer le mouvement contre la globalisation capitaliste pour stimuler l’entrée en lutte des exploité-e-s et des opprimé-e-s sur une série de terrains concrets? De ce point de vue, la mobilisation des métallurgistes et l’annonce d’une grève dans le bâtiment en Allemagne, en même temps que les grèves générales italienne ou espagnole, posent le problème du lien entre le mouvement «no global» et un monde syndical, certes fortement bureaucratisé, sans véritable aile gauche (sauf en Italie et en France), mais qui ne peut rester totalement inactif face aux attaques croissantes du capital, à l’érosion de ses prérogatives traditionnelles et à la montée de la protestation sur les lieux de travail.



Comment reconstruire une gauche anticapitaliste capable de peser d’un poids suffisant pour offrir une alternative, même partielle, à la disqualification accélérée du vieux mouvement ouvrier et à la montée du populisme d’extrême-droite? La social-libéralisation des PS, qui entraîne l’essentiel des verts et des PCs dans son sillage, crée un vide en même temps que le besoin d’une véritable alternative.



Comment gagner une crédibilité et accumuler des appuis et des forces au sein du mouvement contre la mondialisation capitaliste, qui paraît devoir durer plus longtemps que celui de la jeunesse après 68, vu la nature de ses objectifs? Comment soutenir son auto-convocation dans l’action et son auto-organisation en réseau (non vertical), en nous y engageant de façon conséquente sans nous poser en guides. Comment mieux coordonner nos forces à l’échelle européenne sur quelques questions clés (immigration, guerre, Forum Social Européen, Constitution, Charte des droits)? En appelant à la constitution de tronçons communs de la gauche anticapitaliste dans les manifestations européennes? En organisant un référendum tous ensemble sur la même question? En préparant les élections européennes de juin 2004 dans un cadre commun?



L’investissement des différentes organisations dans la préparation de ces rencontres n’a cessé de croître. Plusieurs d’entre elles ont plaidé pour une accélération du processus, vers la formation d’une coordinatuion permanente. Ce sont des pas encourageants. La discussion se poursuivra en Italie, avant le Forum Social Européen des 7-9 novembre prochain, puis à Copenhague, en décembre, à l’occasion du prochain sommet de l’Union Européenne.



Jean BATOU

Sur notre site: www.solidarites.ch

  • Déclaration de la Conférence de la Gauche Anticapitaliste, Madrid, 18-19 juin 2002
  • Leur Europe et la nôtre: un bilan provisoire du semestre espagnol de l’Union Européenne (Traduction française d’un document soumis par Espacio Alternativo)
  • Une autre Europe est possible (Traduction française d’un texte issu de la IIIe rencontre d’Espacio Alternativo, 2-3 mars 2002)