Allemagne

Allemagne : Les progrès de la «flexicarte»

Dans la métallurgie allemande, secteur phare du syndicalisme, les négociations conventionnelles suivent un rituel bien huilé. Le syndicat IG Metall avance ses revendications, une région pilote est choisie — cette fois, ce fut la Bavière —, des grèves d’avertissement sont déclenchées, puis on négocie. Le résultat régional est ensuite étendu au niveau national. Cette année, quelles sont les retombées de ce mécanisme ?

Rien d’affriolant pour les salarié·e·s. Les objectifs d’IG Metall concernaient trois volets : une augmentation des salaires permettant de rattraper l’inflation, un élargissement de la participation lors de recours au travail intérimaire et une embauche de toutes les personnes en fin de formation.

Concernant les salaires, le bilan est vite fait : l’accord conclut porte sur 13 mois, et ne démarre pas tout de suite?; l’un dans l’autre, l’augmentation est de 3,69 %, ce qui correspond au taux officiel de l’inflation. La direction d’IG Metall essaie de vendre ce résultat en « oubliant » la prolongation de la durée et le mois de carence initial, pour mieux le rapprocher de sa revendication de départ.

L’accord sur le recours au travail intérimaire s’est en fait réduit à une « lettre d’intention » de l’organisation patronale « Gesamtmetall », rappelant les règles de base lors d’utilisation de travailleurs et travailleuses en intérim. Parmi celles-ci, l’obligation d’engager dans l’entreprise les salarié·e·s en intérim après deux ans de travail. Une clause qui ne gêne en rien les firmes, les temps d’engagement étant habituellement beaucoup plus courts. Même si l’engagement des intérimaires a été plus précisément défini, la charge de faire respecter ces clauses repose sur le conseil d’entreprise (Betriebsrat), organisme qui ne peut décréter de mesures de lutte.

Pour obtenir cela, IG Metall a dû accepter une nouvelle extension de la flexibilité en matière de temps de travail. A l’avenir, ce ne seront plus seulement 18 % du personnel qui ne bénéficieront plus du cadre théorique des 35 heures hebdomadaires, mais bien 30 %, qui auront la semaine de 40 heures comme temps de travail normal.

Sur le troisième point, l’embauche des personnes en fin de formation, le conseil d’entreprise et le patron définiront les besoins d’embauche. Les personnes en fin de formation correspondant à ces besoins seront engagées de manière indéterminée. Celles qui n’y correspondent pas obtiendront un contrat d’un an. Même le Handelsblatt, proche du patronat, peine à voir une empreinte syndicale dans cet accord.

 

Le miracle allemand de la «flexicarité»

L’Agenda 2010 de l’ancien chancelier social-démocrate Schröder – salué par François Hollande, il offrit à la classe ouvrière allemande un voyage simple course vers le XIXe siècle – a ouvert grand les portes à la précarisation de secteurs entiers du prolétariat allemand, tout en flexibilisant les conditions de travail des autres. Une entreprise allemande du XXIe siècle ressemble plus à une entreprise indienne d’aujourd’hui qu’à une entreprise allemande du XXe siècle. Sur le site d’Opel à Bochum – une entreprise au sort toujours incertain – on compte des salarié·e·s de plus de 50 entreprises différentes, travaillant dans la même halle à des conditions de travail complètement différentes. Et cette diversité est évidemment orientée à la baisse. L’Allemagne compte 2800 conventions collectives avec des clauses salariales?; 130 d’entre elles comportent des salaires horaires minimaux de 6 euros et moins ! Plus d’un tiers de toutes les personnes employées à plein temps en Allemagne travaillent pour des bas salaires. S’y ajoutent les conditions de travail précaires « classiques » de ceux et celles qui subissent la férule des lois Hartz ou ont un statut de faux indépendant ou d’intérimaire. On compte ainsi 6 millions de mini-jobs (contrat précaire à temps partiel avec des salaires très bas de 450 €, occupés à plus de 70 % par des femmes), sans parler des jobs à 1 euro pour les sans-travail.

Dans l’usine Daimler à Untertürkheim, les conditions de travail « offertes » par la société de louage des services (Werkvertrag) chargée du nettoyage des locaux collectifs étaient telles que le journaliste Günter Wallraff a pu parler de « conditions rappelant l’aube du capitalisme ». Dans la même entreprise, qui fabrique, rappelons-­le, les prestigieuses limousines du patronat, la précarisation des conditions de travail fonctionne à plein. Ainsi, les salarié·e·s engagés avant 2004, travaillant en deux équipes au montage gagnent 3550 € par mois?; les intérimaires de Daimler 2700 € et les intérimaires des sociétés de louage 1250 €. 

Et il a fallu une grève dans les entreprises d’Amazon à Leipzig et Bad Hersfeld pour apprendre l’existence d’innombrables contrats à durée déterminée dans cette firme, certains d’un jour seulement !

Ce n’est pas la négociation menée par la confédération syndicale DGB avec les entreprises de travail intérimaire qui va arranger la situation. Légalement, en effet, ces entreprises doivent pratiquer l’equal pay, soit le versement d’un salaire égal pour un travail égal. Sauf si une convention en dispose autrement. Or le DGB a déjà signé une convention prévoyant un salaire horaire de 7,15 € et en négocie une nouvelle. Les délégués syndicaux de Daimler Brême, parmi d’autres, ont donc demandé au DGB de rompre les négociations et de dénoncer l’actuelle convention afin que la loi puisse s’appliquer. L’appareil syndical sera-t-il capable de bloquer tout mouvement social en attendant que « tout aille mieux », c’est-à-dire que le candidat social-démocrate Peer Steinbrück soit élu à la chancellerie ?

 

Eric Peter (trad DS)