Tanz dich frei et défends tes droits

« Tanz dich frei » (Libère-toi en dansant), est un événement festif autoconvoqué par les réseaux sociaux, qui rassemble des foules croissantes, chaque année, depuis mai 2011, dans les rues de Berne. De quoi s’agit-il? D’une fête non commerciale, d’une grande parade, mais aussi d’une manifestation pour une vie nocturne moins contrôlée.

 

C'est une version helvétique des mobilisations internationales pour le « droit à la ville », qui se traduisent par la revendication collective de l’espace public. Elle s’inspire des mouvements Occupy, qui se distinguent depuis quelques années par le recours à une « désobéissance civile » massive et pacifique.

Selon les estimations de la presse, les participants à Tanz dich frei étaient quelques centaines en 2011, dix mille en 2012 et pratiquement le même nombre cette année, malgré un temps exceptionnellement froid pour la saison. L’année dernière, les autorités municipales avaient déploré quelques graffitis muraux. Pour cette raison, elles se sont préparées à l’édition 2013 dans un climat de tension extrême, ponctué de divers avertissements à la population, notamment du chef de la police, Reto Nause (PDC), qui taxait les organisateurs d’«irresponsables»

 

La police en embuscade

Dans une ville déjà quadrillée quotidiennement par des centaines de caméras de surveillance, des troupes anti-émeutes avaient ainsi été déployées devant le Palais fédéral depuis la fin de l’après-midi, à l’abri derrière des barrières. Au cours de la soirée, elles feront largement usage de gaz lacrymogènes, de canons à eau et de balles enrobées de caoutchouc contre quelques dizaines de manifestants échauffés, sur la Place fédérale, puis aux environs de la gare. Selon le bilan officiel, ces affrontements auraient fait une cinquantaine de blessés, dont une majorité dans le public; par ailleurs, quelques vitrines et distributeurs de billets ont été endommagés.

La police a interpellé une soixantaine de personnes et enquête pour identifier des « coupables », passibles de poursuites pour délit d’émeute, dommages à la propriété (plusieurs dizaines de milliers de francs), menaces contre des fonctionnaires, etc. Les vidéos des caméras de surveillance des magasins et des banques sont analysées. Le maire socialiste de Berne, Alexander Tschäpätt, qui dénonce des «actes criminels», demande à la population de livrer témoignages et images aux autorités. Le Ministère public pourrait même porter plainte contre Facebook, accusé d’avoir permis la convocation d’une manifestation publique non autorisée et véhiculé des appels à la violence.

 

Limiter le droit de manifester

Les polices cantonale et fédérale planchent activement sur une surveillance accrue des réseaux sociaux au moyen de « brigades numériques ». Il s’agit ainsi de cibler les lieux de formation d’initiatives collectives « non contrôlées » dans une société dominée par l’impuissance individuelle. Par ailleurs, plusieurs parlements cantonaux débattent aujourd’hui de lois visant à limiter le droit de manifester, notamment en interdisant toute manifestation spontanée, non explicitement autorisée, dont les responsables ne seraient pas clairement identifiés, comme c’est déjà le cas à Genève.

Pour Nathalie Fontanet (PLR, Genève), le fait d’appeler à rejoindre une manifestation sur les réseaux sociaux serait ainsi déjà constitutif d’un abus (RTS-Info, « En ligne directe », 27 mai 2013). On le voit, l’émotion soulevée par les récents événements de Berne, comme d’ailleurs le rappel incantatoire, dix ans après, des affrontements autour du G8 de 2003, sont mis à profit pour vider encore un peu plus le droit de manifester de son contenu. C’est pourquoi la défense des libertés démocratiques doit devenir une priorité de toute la gauche politique, syndicale et associative, sous peine de les voir corsetées par un arsenal croissant de restrictions légales et réglementaires.

 

Jean Batou