Europe

Europe : Mortelle Austérité

Il y a des indices révélateurs, comme celui que la revue médicale britannique « The Lancet » a mis en évidence dans son enquête sur la crise financière, l’austérité et la santé en Europe : alors que les données financières sont connues dans la semaine, celles qui concernent la santé de la population n’apparaissent qu’après plusieurs années. Les décideurs de la Troïka ignorent et veulent tout ignorer de ce paramètre.

En un sens, on les comprend : il est difficile de s’enorgueillir d’avoir réussi à relancer les infections par le VIH en Grèce ces dernières années, dont le taux en 2012 est vingt fois plus élevé que durant la période 2007-2010. Quant à la réapparition de la malaria et l’émergence de la dengue dans le même pays, c’est un résultat que l’on fait rarement figurer sur sa carte de visite, fût-on candidat aux plus hautes fonctions chez Goldman Sachs.

    Pourtant, c’est bien la Troïka (Commission européenne, Fonds monétaire international et Banque centrale européenne) qui a demandé que les dépenses de santé en Grèce ne représentent pas plus de 6 % du PIB, «créant ainsi un précédent dans l’UE de prise de contrôle sur le système de santé national d’un Etat membre», selon l’article de The Lancet du 13 avril. Malgré l’absence de données générales, certains effets sont cependant déjà clairs. L’incidence des troubles mentaux a augmenté en Grèce et en Espagne?; l’accès aux services de santé s’est aussi largement détérioré en Grèce. Le nombre de suicides chez les moins de 65 ans a augmenté dans l’Union européenne depuis 2007. En Angleterre, l’augmentation des suicides en 2008-2010 était significativement associée à une augmentation du chômage et a entraîné environ 1000 décès excédentaires. La récente montée du chômage en Europe risque d’avoir de lourdes conséquences, puisque l’Organisation mondiale de la santé (OMS) atteste qu’en Europe, «une corrélation a été établie entre une progression de plus de 3% du chômage sur une période relativement courte et un accroissement de près de 5% du nombre de suicides et de traumatismes auto-infligés chez les personnes de moins de 65 ans».

 

Espagne et Portugal

Voici succinctement résumée la situation en Espagne, vue par la revue médicale : «Entre 2006 et 2010, les prévalences des troubles de santé mentale chez les personnes recevant des soins primaires ont augmenté de manière significative, en particulier ceux de l’humeur, l’anxiété, les troubles somatoformes et les troubles liés à l’alcool?; l’augmentation de la prévalence des dépressions majeures était la plus forte. […] La perte de revenu familial affecte particulièrement les plus faibles et les plus vulnérables de la société. En Catalogne, entre 2005 et 2010, la proportion d’enfants à risque de pauvreté est passée de 20,6% à 23,7%, et celle de ceux qui vivent dans des familles sans emploi de 3,7% à 11,2%. Les familles doivent de plus en plus se tourner vers les organisations non gouvernementales pour obtenir de la nourriture, un logement, voire un emploi, ou des conseils juridiques et psychologiques.?»

    Au Portugal, l’hiver 2012 aura vu la mortalité des personnes de plus de 75 ans s’accroître de 10 %, une progression inquiétante. Bien que sa cause ait été attribuée à un hiver exceptionnellement froid et à une épidémie de grippe, les inquiétudes subsistent, puisqu’il s’avère que 40 % des Por­tu­gais·e·s de plus de 65 ans et vivant seul·e·s sont incapables financièrement de conserver leur maison adéquatement chauffée.

    En guise de conclusion provisoire, on peut relever cette constatation générale de la revue : «Les personnes les plus vulnérables se trouvent dans les pays confrontés aux plus grandes réductions des budgets publics et à l’augmentation du chômage. Tant la perte d’emploi que la crainte de perdre son emploi ont des effets néfastes sur la santé mentale?; la réduction des revenus, les coûts croissants des soins de santé comme les coupes dans les services empêchent les patients d’accéder aux soins à temps. Ces effets ont été observés en Grèce, en Espagne et au Portugal.?» On ne peut donc que donner raison au président du groupe social-­démocrate au Parlement européen, l’Autrichien Hannes Swoboda, qui après lecture de l’article de The Lancet, disait «Tous les rapports de la Commission devraient porter le label ‹l’austérité tue›.» Ajoutons toutefois qu’en Europe, la social-démocratie, lorsqu’elle gouverne, fait partie des tueurs.

 

Daniel Süri


Demande d’euthanasie collective en Roumanie

 

Entreprise romande, le journal de la Fédération patronale FER, ne nous avait pas habitués à ce langage, dénonçant, mais oui, «les ravages de l’austérité» et ses «coûts sociaux énormes» en Europe de l’Est (24.5.13). Si même eux le reconnaissent, c’est qu’il doit y avoir des gros dégâts. L’exemple qui justifie le titre de cet encart est celui de trente chercheurs de l’Institut de recherches pétrolières de la ville de Ploiesti, qui n’ont plus été payés depuis octobre 2010. Ils sont au bout du rouleau et demandent une euthanasie, qu’ils jugent plus facile à supporter que la mort à petit feu que leur inflige un Etat qui a licencié plus de deux cent mille fonctionnaires.

L’austérité tue

 

Dans un ouvrage à paraître prochainement en anglais The Body Ecocomic: Why Austerity Kills, deux chercheurs spécialisés en santé publique, David Stuckler et Sanjay Basu, estiment que plus de 10 000 suicides et jusqu’à un million de cas de dépression peuvent être directement associés à la crise économique et aux mesures de rigueur qu’elle a entraînées en Europe et en Amérique du Nord