Jeux vidéo

Jeux vidéo : Le joystick est le nouveau phallus

Alors que le domaine des jeux vidéo touche de plus en plus de monde, des discours critiques se font entendre au sein même de la communauté des joueurs-ses. Au delà des préjugés, ce monde représente-t-ils véritablement un monde sexiste et sa rédemption est-elle possible ?

Considérer les jeux vidéo et leur univers comme une sphère marginale anecdotique serait faire preuve d’une approche pour le moins naïve. Economiquement, l’industrie du jeu vidéo représente un chiffre d’affaire annuel de plus de 17 milliards d’euro. Depuis 2006, les jeux vidéo constituent les biens culturels les plus vendus en France. C’est également un genre de plus en plus influent?; de nombreux titres acquièrent ainsi une place important au sein de la culture populaire. Ces observations mettent à mal le mythe tenace d’une communauté restreinte, surnommée geek ou nerd.

 

La «babe» et le joueur

Ce mythe explique en partie le peu d’intérêt de la communauté scientifique critique pour ce domaine important de la culture populaire. Seules semblent subsister pour le moment, des travaux de psychologie et psychologie sociale visant à dénoncer la violence dans les jeux vidéo. Il faut dépasser cette position de parents pour éviter d’envisager d’emblée le monde des jeux vidéo sous un angle négatif qui n’en comprend ni les codes ni les valeurs.

Les critiques les plus intéressantes sont aujourd’hui celles qui viennent d’initiées : des joueuses. En effet, ces derniers temps, plusieurs analyses de ce type ont vu le jour. Ainsi, le blog Feminist Frequency (feministfrequency.com) revient sur le sexisme dans le milieu des jeux vidéo et sur la tendance dominante à restreindre les personnages féminins des différents jeux au rôle de demoiselle en détresse, passive et toujours en attente du héro qui les sauvera.

En France, c’est via les différents articles de MarLard, publiés sur le blog Genre (http://cafaitgenre.org) que ces questions ont été débattues publiquement. Y sont dénoncés un climat «d’entre-couilles» où la misogynie est généralisée à tous les niveaux. Au sein des jeux, l’image dominante des personnages féminins est celle de la passivité, l’objet du regard et jamais le sujet. Pour ce qui est de leurs apparences, le site jeuxvideo.com en donne la règle d’or : «gros seins / petite tenue»

Tout est fait pour nier les filles jouant aux jeux vidéo, les réduire à leur sexe, les harceler. Ainsi, MarLard donne un exemple de campagne de promotion édifiant : «A l’occasion de la sortie du jeu Dante’s Inferno, EA a organisé le concours Sin to Win : commettez le péché de luxure en vous photographiant avec des booth babes ! La meilleure photo gagne ‹ un dîner et une nuit de pêché avec DEUX filles sexy, un service limousine, paparazzi et un coffre plein de trésors ›. Vous avez bien lu: EA a encouragé ses fans à harceler sexuellement les hôtesses (pas seulement leurs employées, n’importe lesquelles) et leur proposait des femmes en récompense.?» L’image de la femme est ainsi sans cesse réduit à celui d’objet sexuel.

Lorsqu’il est jugé utile de s’adresser à des joueuses, on les place dans une position inférieure ou du moins différenciée. Ainsi lors d’une conférence de presse, un mode de jeu simplifié pour débutants s’est vu surnommé le «girlfriend mode», le mode pour la petite amie forcément nulle. De nombreux témoignages de joueuses ou même de créatrices de jeux racontent la façon dont elles ne sont systématiquement pas prises au sérieux, perçues comme de vulgaires fans n’y comprenant rien, dirigées vers des jeux au contenu « féminisé » concernant avant tout l’organisation du quotidien (les Sims) ou des univers infantiles (les petits lapins trop choux).

La critique d’une telle situation a éclairé d’autant plus le caractère haineux de la communauté des jeux vidéo. Des commentaires misogynes, insultants, violents, allant jusqu’à la menace de viol ont ainsi fleuri sur les sites ayant publié ces critiques féministes.

 

Combattre la misogynie ordinaire

Ces constats contredisent l’angélisme qui entoure souvent les nouvelles formes culturelles et la croyance en un recul généralisé du sexisme et de la misogynie dans la société actuelle. En effet, on pourrait penser naïvement que le fait que les jeux vidéo soient un divertissement apparu relativement récemment et concernant une majorité de jeunes impliquerait un accès égalitaire et tolérant. On se retrouve au contraire face à une misogynie extrêmement violente. Le sexisme est bien une réalité actuelle, allant au-delà des vieux réflexes réactionnaires. On n’a peut-être pas encore saisi la force du tournant conservateur actuel.

De plus, il serait faux de penser que si le sexisme énoncé ci-dessus paraît si sûr de lui, c’est parce qu’il concerne un milieu essentiellement masculin. En effet, selon les derniers sondages, environ 47 % des personnes qui jouent aux jeux vidéo sont des femmes. Même si ce chiffre doit être nuancé en regard des différents types de joueurs (occasion­nel, régulier, obsessionnel), la violence des propos sexistes et leur assurance démontrent à quel point ce type de discours est toléré, voire valorisé, du fait d’une misogynie ordinaire des plus vivaces. Pour combattre cette dernière, il faut la dénoncer telle qu’elle s’exprime quotidiennement dans les différentes sphères sociales et notamment dans les lieux de divertissement culturel. La haine des femmes n’est jamais anodine, ce n’est pas « juste une plaisanterie », nous devons lui opposer un combat quotidien permanent.

 

Pierre Raboud

 

L’analyse complète de MarLart « Sexisme chez les geeks : pourquoi notre communauté est malade et comment y remédier » se trouve à l’adresse suivante : http://cafaitgenre.org/author/marlard