Helvétiquement vôtre

Helvétiquement vôtre : Les écolières et le ministre

Le 27 janvier 2013, à l’occasion de la « Journée internationale de la mémoire de l’holocauste », le conseiller fédéral Ueli Maurer (SVP/UDC) a parlé de la politique suisse des réfugiés durant la 2e guerre mondiale. « Durant cette période sombre pour le continent européen », affirme-t-il, « la Suisse est restée un pays de liberté régi par le droit, refuge pour de nombreuses personnes menacées et traquées ». 

Un sérieux bémol s’impose : depuis un demi-siècle, cette vulgate a été mise à mal par les progrès de la recherche historique (de l’ouvrage d’Alfred A. Hasler, « Das Boot ist voll », au rapport de la commission Bergier). Mais les amis politiques d’Ueli Maurer persistent à discréditer ces acquis. En effet, ils ont quelques fantômes dans leurs placards. A commencer par celui du conseiller fédéral Eduard von Steiger (Parti des paysans, artisans et bourgeois, BGB/PAB, ancêtre de l’Union démocratique du centre) : responsable de la politique des réfugiés durant la 2e guerre mondiale, il est l’auteur de la formule infâme «La barque est pleine».

Or, un article de l’écrivaine Anne Cuneo – intitulé « Les écolières et le ministre » (24 heures, 9/10.2.2013) – remet opportunément les pendules (historiques) à l’heure. Son dernier roman, La Tempête des heures (Campiche, 2013) relate le vécu d’une troupe de ré­fu­gié·e·s allemand·e·s au Théâtre du Schauspielhaus (Zurich), en 1940. Anne Cuneo a recueilli de nombreux témoignages sur cette époque, dont celui de Rosmarie De Lucca. Âgée aujourd’hui de 85 ans, celle-ci fut l’une des protagonistes, il y a 70 ans, d’une page d’histoire oubliée.

 

Ces «hôtes indésirables»

En 1942, 22 lycéennes ont écrit au conseiller fédéral Eduard von Steiger. «Elles avaient 14 ans. Elles vivaient à Rorschach, près de la frontière, où l’on voyait chaque jour des juifs être refoulés». Elles demandaient davantage d’humanité pour «ces pauvres hères tremblants, affamés, terrifiés», les réfugiés renvoyés à leurs bourreaux. «Von Steiger a mal pris la chose. Il a écrit à ‹ ces futures ménagères dévouées › : le jour où elles seraient forcées de recevoir chez elles, en dépit du manque de place, des hôtes indésirables, elles rougiraient d’avoir osé faire des reproches au Conseil fédéral!» L’expulseur-en-chef a même ordonné une enquête pour découvrir les hypothétiques inspirateurs de ce courrier subversif. Mais les fins limiers de la BUPO firent chou blanc : «L’enquête n’avait abouti qu’à l’évidence: une classe d’adolescentes avait agi selon sa conscience, sans consulter ni professeurs ni parents».

En 2000, l’Université ouvrière de Genève (UOG) et l’Association pour l’étude de l’histoire du mouvement ouvrier (AEHMO) avaient organisé un colloque sur la politique des réfugiés. Les actes en ont été publiés dans le cahier nº 2/2003 de l’UOG, par les bons soins des historiens Marc Vuilleumier et Charles Heimberg : L’autre Suisse: 1933-1945: syndicalistes, socialistes, communistes: solidarité avec les réfugiés. La lecture de ce cahier complète judicieusement celle de La Tempête des heures

 

Hans-Peter Renk