Le sauvetage chypriote et ses conséquences

Le sauvetage chypriote a été finalisé il y a une dizaine de jours. Le résultat en sera l’accélération de la récession de l’économie chypriote. Et pourrait, en bouleversant les rapports de force géopolitiques dans la région, ouvrir la voie à une adhésion de la Turquie à l’UE.

Un accord entre Chypre, l’Union Européenne, la BCE et le FMI avait été trouvé samedi 16 mars, prévoyant notamment de ponctionner les dépôts bancaires afin de renflouer les banques chypriotes en difficulté. Déjà dans cet accord, la tentative de la bourgeoisie chypriote de préserver le statut de l’île en tant que place financière offshore de la mafia russe était manifeste. Le président chypriote avait obtenu que la ponction frappe les comptes en dessous de 100 000 euros (protégés par une garantie de l’Etat) de façon à alléger le fardeau pour les gros déposants.

 

Comment le sauvetage chypriote a été finalisé

Cette manœuvre n’a pas suffi pour calmer les inquiétudes de la bourgeoisie chypriote. Ses représentants parlementaires, pour la plupart encore inconscients de la situation précaire dans laquelle leur classe se trouvait, ont rejeté le mardi 19 mars le plan européen. Leur alternative consistait à courtiser le gouvernement et les oligarques russes. Le ministre des finances chypriote a pris le chemin de Moscou dès le lendemain du vote. Il a proposé les banques faillies aux russes pour un euro symbolique ainsi que des droits de forage dans les réserves de gaz naturel situées à l’est de l’île. Certains ont même évoqué la possibilité d’offrir une base militaire aux russes. En effet, la fin annoncée du régime de Bashar el-Assad, allié de Moscou, met en péril la base navale russe en Syrie, ce qui représente un recul important dans la région pour la Russie.

L’offre chypriote n’a pas trouvé preneur. Poutine a signifié aux Chypriotes, à travers l’un de ses conseillers, que pour les aider, Chypre devrait d’abord quitter l’UE et ensuite rejoindre la sphère d’influence russe en adhérant à l’Union Economique Eurasiatique.

Le chemin de Moscou ne menant nulle part, et les dirigeants européens ainsi que les investisseurs financiers n’étant manifestement pas impressionnés par le ‘non’ chypriote, la bourgeoisie locale a dû ravaler sa fierté et retourner négocier à Bruxelles. Le nouveau plan, conclu le dimanche 24 mars, prévoit la restructuration des deux principales banques chypriotes tout en épargnant les dépôts en dessous de 100 000 euros. Petite victoire pour les travailleurs du pays, dont malheureusement les organisations n’ont pas su être à l’initiative pendant la dizaine de jours de turbulences. La restructuration est une sorte de mise en faillite contrôlée par la Banque centrale chypriote, dont le rôle sera de liquider les actifs des banques faillies et ensuite répartir les sommes recueillies aux déposants. On estime les pertes pour les déposants à entre 50 % et 80 % de la valeur de leurs dépôts.

La facture sera en partie encaissée par les ploutocrates locaux et étrangers (dont beaucoup étaient actionnaires des deux banques restructurées et perdront leurs actions) mais aussi par les travailleurs. Beaucoup d’employés des banques se retrouveront au chômage. Et comme le système de retraites chypriote repose en grande partie sur des fonds de pension centralisant les cotisations et les plaçant sur des comptes bancaires, la valeur des futures retraites sera sérieusement dépréciée. Enfin, les restructurations vont accélérer la récession dans laquelle l’économie est entrée depuis fin 2011. Le chômage avait déjà augmenté de 4 % à 14 %. Certaines estimations prévoient qu’il pourrait monter à 30 %.

 

Conséquences géopolitiques

Le plan chypriote aura aussi des conséquences géopolitiques.

La bourgeoisie chypriote s’est depuis vingt ans appuyée sur deux secteurs économiques pour assurer sa prospérité : le tourisme et les services financiers. Ce deuxième secteur sera maintenant très largement affaibli, ce qui oblige la bourgeoisie locale de chercher ailleurs de nouvelles sources de valeur. Ainsi, les réserves de gaz naturel encore inexploitées acquièrent une importance cruciale.

C’est là que les choses se compliquent. Depuis l’indépendance de Chypre en 1960, les relations entre la communauté grécophone – majoritaire – et celle turcophone – minoritaire – sont conflictuelles, du fait du refus des dirigeants de la communauté majoritaire de reconnaître à la minorité son droit à l’autodétermination. En arrière-plan, ce conflit en cache un autre, à savoir le conflit géopolitique entre la Grèce et la Turquie. L’île est depuis 1974 divisée en deux, suite à une intervention militaire turque. Le nord est sous contrôle turc et la Turquie revendique sa part des réserves gazières, ce qui fait planer l’incertitude sur la répartition des droits de forage.

Ensuite, il y a la question de l’ache­minement de la production gazière vers le marché européen. La solution la moins coûteuse serait de construire un gazoduc sous-­marin qui acheminerait le gas du nord de Chypre au sud de la Turquie. De là, il pourrait soit être vendu et consommé sur place – la Turquie a une économie en pleine croissance – soit être acheminé vers la Bulgarie et de là vers l’Europe continentale.

Dans les deux cas de figure, la bourgeoisie chypriote se trouve dépendante d’une solution de la question nationale, qui réunifierait l’île et permettrait de créer les conditions pour une exploitation rentable des réserves gazières. Surtout, la solution de la question nationale dégagerait la voie pour l’adhésion de la Turquie à l’UE, d’autant plus qu’avec l’arrivée des sociaux-démocrates au pouvoir en France, les conditions pour un réchauffement des relations turco-européennes sont en place.

 

Christakis Georgiou