Helvétiquement vôtre

Helvétiquement vôtre : La règle de la «double majorité», une survivance archaïque

Le 3 mars 2013, au contraire de l’initiative contre les salaires abusifs (dite « initiative Minder ») et de la loi sur l›aménagement du territoire (LAT), l’article constitutionnel sur l’aide aux familles a été refusé. Il avait certes obtenu une majorité populaire, mais pas celle des cantons.

Ce n’est pas la première fois que cette règle contredit le vote populaire : en 1955, elle a fait échouer une initiative de l’Union syndicale suisse en faveur d’une meilleure protection des locataires et, en 1994, l’accès facilité à la citoyenneté suisse pour les étran­ger·ère·s des 2e et 3e générations. Plus d’un siècle et demi après la défaite du Sonderbund (1847) – alliance de 7 cantons catholiques hostiles à la révision du Pacte ultra-fédéraliste de 1815 – les cantons de la « Suisse primitive » disposent encore d’un droit de veto incongru. 

Rappelons que la première révolution helvétique, dans sa courte phase ascendante (1798–1800) avait fusionné les actuels cantons d’Uri, Schwyz, Unterwald et Zoug au sein d’un seul canton, celui des Wald­stätten. Appenzell et le nord de l’actuel canton de Saint-Gall formaient le canton du Säntis. Mais l’Acte de médiation de 1803 a restauré la structure fédéraliste de la Suisse. Quant à la règle de « double majorité », elle date de la Constitution de 1848. Or, «si les renversements de majorité électorale et les petites révolutions cantonales qui ont permis la formation à la Diète, d’une majorité hostile au Sonderbund, si la guerre civile de 1847, entreprise malgré les menaces d’intervention des puissances voisines, ont bien un caractère révolutionnaire, il n’en va pas de même de la Constitution de 1848, œuvre de compromis qui demeure très en deçà des aspirations radicales et démocratiques. D’abord, au lieu d’être élaborée par une assemblée constituante, élue pour cela par l’ensemble du peuple suisse, comme l’aurait souhaité l’aile gauche du radicalisme, elle fut préparée par une commission de la Diète, désignée à cet effet avant même la guerre civile» (Marc Vuilleumier, « A propos des commémorations de 1848 », solidaritéS infos, Neuchâtel, nº 15, octobre 1998). 

Ainsi, la force propulsive de la seconde révolution helvétique (1830-1847) s’est vite épuisée : le premier gouvernement fédéral fut dominé par les politiciens modérés de la bourgeoisie industrielle du Plateau, non par l’aile gauche du radicalisme. L’un des aspects problématiques de cette « œuvre de compromis », c’est précisément la règle de la « double majorité » : une concession aux cantons du Sonderbund (où les forces conservatrices restèrent au pouvoir ou ne tardèrent pas à le reprendre quelques années plus tard, en 1856 à Fribourg et en 1857 au Valais). 

Décidément, le manque d’audace manifesté en 1848 se paie au prix fort, aujourd’hui encore.

 

Hans-Peter Renk