Soulèvement anti-austérité en Bulgarie

Mercredi 20 février, le premier ministre bulgare démissionnait. A la tête du parti de droite – GERB (Citoyens pour le développement européen de la Bulgarie) – il avait fait la promesse de baisser de 8 % le prix de l’électricité, tout en lançant la police anti-émeute dans une répression ouverte du mouvement dans la rue. Où en est-on aujourd’hui ?

«Je ne peux pas voir le parlement entouré de barricades, ce n’est pas notre but, notre philosophie, nous ne pouvons pas nous protéger de notre propre peuple», déclarait-il. Son ministre des finances, un officiel de la Banque Mondiale, avait été limogé de ses fonctions quelques jours avant la démission du gouvernement, ce qui n’avait fait qu’encourager la mobilisation populaire.

 

Une lame de fond

Les manifestations avaient pris de l’ampleur dans 35 villes après l’augmentation du prix de l’électricité de 13 %, imposée par le fournisseur tchèque CEZ et quelques autres géants de l’énergie. Dans un pays où les retraites sont en dessous de 150 euros par mois et les salaires moyens autour de 400 euros, on aurait pu payer 170 euros d’électricité par mois.

La corruption massive des partis traditionnels, issus de la période stalinienne, enrichis par la privatisation des entreprises d’État, avait déjà créé les conditions d’une colère montante. S’y est ajoutée l’austérité budgétaire, avec son cortège de régressions sociales, de destructions des services publics, de baisses des salaires, de privatisations des dernières industries d’Etat, visant à réduire le déficit public. L’augmentation du prix de l’électricité a donc été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.

Des personnes ont commencé à se réunir devant les locaux de la CEZ pour brûler leurs factures. Dans certaines villes, les voitures de l’entreprise ont été brûlées et leurs dirigeants pourchassés dans les rues. Dans les plus petites villes, des routes ont été bloquées. A Sofia, les ma­ni­­fes­­tant·e·s ont affronté la police anti-émeute avec des moyens de fortune. On a même signalé deux cas d’auto-immolation. Les manifestations ont monté en intensité avec le recours à l’action directe.

L’hostilité envers les partis politiques traditionnels s’est exprimée dans le refus de toute récupération du mouvement, les gens étant dégoûtés de la droite et des sociaux-libéraux. Le parti socialiste bulgare (PSB), issu du vieux Parti communiste, est devenu un parti blairiste. Pour mémoire, en 1997 des milliers de ma­ni­festant·e·s avaient envahi le parlement pour faire tomber son gouvernement.

Le mouvement récent a commencé à articuler des préoccupations économiques et politiques : traîner les PDG des entreprises devant la justice?; organiser des forums citoyens pour l’établissement d’une autre tarification de l’électricité?; arrêter les privatisations?; remettre en cause le système des partis?; révoquer les élus?; développer des contre-pouvoirs?; élire une assemblée constituante.

 

D’où viennent les manifestant·e·s?

Certains réseaux s’étaient déjà formés dans les luttes des années précédentes. Il y a d’abord eu la «révolution des tomates», contre l’incarcération d’un poète dissident, puis une longue grève du fret, qui a donné naissance à des piquets pendant des semaines, contre la privatisation du transport ferroviaire. Les étudiant·e·s se sont aussi mo­bi­lisé·e·s contre la hausse des frais d’inscription. Enfin, en 2009, les paysan·ne·s ont bloqué les routes.

Deux des principaux porte-paroles du mouvement actuel, Angel Slavchev et Yanko Petrov, s’étaient illustrés lors de la mobilisation contre l’ACTA (Traité international contre le téléchargement illégal et pour renforcer la propriété intellectuelle) et contre l’exploitation des gaz de schiste. Ce sont ces réseaux, alliés à d’autres, qui sont entrés en action pour appeler aux rassemblements, qui ont ensuite été nourris par la colère populaire contre les factures d’électricité.

 

Où va la Bulgarie?

Le dimanche 24 février, des dizaines de milliers de personnes ont manifesté dans tout le pays. Le gouvernement a démissionné sans qu’aucun autre parti ne soit prêt à assurer la transition. Les élections prévues en mai constituent ainsi le principal espoir des autorités, qui espèrent que des dissensions naîtront d’ici-là au sein du mouvement. 

Les militant·e·s bulgares ont aujourd’hui la responsabilité de reprendre des revendications portées par les tra­vail­leurs·euses orga­ni­sé·e·s, comme beaucoup l’ont fait dans la mobilisation des In­digné·e·s en Espagne, où les assemblées n’ont pas disparu : elles se déroulent désormais dans les hôpitaux et les écoles, où les sa­la­rié·e·s se retrouvent et votent sur des problèmes qui les concernent directement.

Ces assemblées ont été une composante cruciale pour mettre la pression sur les centrales syndicales, afin qu’elles appellent à des grèves de masse, ainsi qu’un élément clé dans l’accroissement de la confiance des travail­leurs·euse dans la lutte. Le modèle de mobilisation propre aux Indigné·e·s – défiance envers les partis traditionnels, mobilisations de masse, occupations de places et de routes – émerge aujourd’hui en Bulgarie.

La «démocratie» représentative fait désormais l’objet d’un questionnement croissant. Le travail des anticapitalistes consiste à pointer la nature anti-démocratique du système économique qui se cache derrière la démocratie parlementaire formelle. L’exigence de révocabilité des politiciens constitue une revendication légitime, même s’il ne faut pas oublier d’exiger aussi la révocabilité des PDG!

Il importe d’apprendre de ces protestations, de pousser sans cesse à l’intensification des luttes et de ne jamais laisser la colère sociale sans perspective. Pour cela, il faut se montrer ambitieux : mettre en œuvre des campagnes permettant d’impliquer de larges secteurs de la population dans des assemblées décisionnaires. Ce travail commence maintenant?; la Bulgarie indique le chemin.

 

Adapté par notre rédaction d’après une note publiée par le SWP britannique, le 24 février dernier.