Tunisie

Tunisie : Gaz de schiste et inféodation

Le tollé général provoqué par la décision d’octroyer l’autorisation à la multinationale Shell pour l’exploration puis l’exploitation du gaz de schiste en Tunisie saura-t-il faire reculer ce gouvernement d’apprentis sorciers qui fonce droit vers une catastrophe écologique ? 

Certainement pas, […] le gouvernement nahdhaoui (du parti islamiste Ennhadha, réd) étant déterminé à sacrifier sur l’autel de l’inféodation toute la zone géographique couverte par l’emprise du projet, le tout Kairouan, Sousse, Sfax Nord, El Jem… et son Colisée.

Il ne s’agit pas ici d’exposer exhaustivement les principes et les méfaits de la fracturation hydraulique, technique par laquelle on récupère le gaz emprisonné dans la roche en vue de son exploitation industrielle. […] Toutefois, quand le ministre de l’Industrie Chakhari argumente sa détermination à empoisonner ses concitoyens en déclarant que «cette technique a fait ses preuves aux Etats-Unis et au Canada» il situe le débat autour de la gestion d’une pollution « classique » générée par cette activité comme pour toute autre industrie extractive. Ce qui occulte le fondement de la question, à savoir, en premier lieu, la mobilisation en amont et la mise en disponibilité de quantités très importantes d’eau potable au profit de cette activité aux dépens d’autres secteurs vitaux, ensuite la gestion en aval de ces eaux une fois contaminées par près d’un millier de produits chimiques hautement toxiques. L’eau c’est le nœud de l’affaire. […]

 

Eau et stress hydrique

La Tunisie est un pays semi-aride avec des ressources en eau conventionnelle très limitées (de 500 m3 par habitant et par an, par rapport à un seuil de pénurie et un seuil de stress hydrique respectivement de 1000 m3 et 1700 m3 par habitant et par an). Par conséquent, même si l’on admet que le risque est contenu et calculé, ce qui est une pure chimère, les gigantesques quantités d’eau consommées ou contaminées par cette activité seraient à elles seules une raison suffisante pour ne jamais envisager un tel projet, même s’il prétend résoudre l’épineuse équation de l’autonomie énergétique. L’indépendance énergétique ne peut s’accomplir en assoiffant la population.

Pour rendre compte du volume d’eau nécessaire à l’extraction de ce gaz, certaines sources avancent que chaque fracturation hydraulique nécessite selon les cas de 9 000 m3 à 29 000 m3 d’eau. La prestigieuse revue scientifique La Recherche a révélé qu’un puits horizontal nécessite en moyenne 13,2 millions de litres par fracturation et chaque puits peut être fracturé huit fois. Et sur la base de 400 puits uniquement, objet de son étude, le total de la consommation d’eau a été évalué à 42,2 milliards de litres, soit l’équivalent de 14 000 piscines olympiques ! L’ironie de cette technique « éprouvée » de fracturation, c’est qu’elle restitue ce volume d’eau une fois contaminée soit en surface (flowback), qu’il faudra gérer on ne sait comment, soit par percolation dans la nappe phréatique, rendant celle-ci irrémédiablement inutilisable.

En Tunisie, ce projet qui impliquerait quatre gouvernorats, de Kairouan jusqu’à Sfax, en passant par Sousse et Mahdia, se traduirait nécessairement par des centaines de forages gaziers qui engloutiraient puis contamineraient une grande partie des précieuses et rares ressources aquifères destinées à l’agriculture dans cette zone à faible pluviométrie de la Tunisie centrale. Car la technique « fiable », invoquée par le ministre, pratiquée en Amérique du Nord est celle des puits horizontaux multiples (multi-well drilling pad) qui prévoit jusqu’à 16 forages au km2. Aux Etats-Unis en 2011 on a dénombré 493 000 forages actifs et il faudrait s’attendre à ce qu’en Tunisie le nombre de puits varie entre 2 500 et 3 000 puits comme minimum envisageable pour avoir un seuil de rentabilité. Soit, en maintenant les ratios des calculs précédents, une consommation d’eau potable correspondante comprise entre 276 et 331 millions de m3.

 

Une rente dérisoire

Et tout cela pour obtenir quoi ? Une rente dérisoire pour l’Etat, des trous de gruyère sur des centaines de kilomètres carrés, des nappes d’eau rendues inexploitables et des étangs de boue à « l’eau potable » contaminée par des agents cancérigènes et des éléments radioactifs sur les terres fertiles du Kairouanais et du Sfaxien.

On peine à imaginer les incalculables répercussions négatives sur ces régions où l’activité agricole est un pilier socioéconomique. Car là où le gaz de schiste apparaît c’est la campagne qui disparait. Sauf que M. Chakhari, en véritable corbeau de la démagogie, déclare que les risques inhérents à l’exploitation du gaz de schiste ne sont qu’une «rumeur». La stratégie d’inféodation « consciente » que pratique le gouvernement nahdhaoui pour se maintenir au pouvoir consiste à brader à tous les coins de rue le patrimoine national, quitte à mettre en péril des pans entiers du territoire national. Elle ne concerne pas uniquement le gaz de schiste. Elle a déjà bradé le gisement de phosphate de Sraouertane, la raffinerie de Skhira et, récemment, « l’espace aérien ». Elle diffère de toute autre forme d’inféodation connue dans l’histoire contemporaine de la Tunisie en ce qu’elle est inconditionnelle et sous tutelle du minuscule Qatar qui n’est pas réellement un Etat, mais un émirat-holding, fer de lance de la politique agressive de certaines multinationales comme la compagnie Shell. On n’est plus dans le cadre d’un Etat vassalisé par un Etat plus puissant, mais dans un rapport d’Etat vassalisé par une holding. Une république bananière avec le Qatar-holding pour United Fruit. […] 

 

Saber Dahi

(coupures et intertitres de la rédaction)

Saber Dahi est militant associatif et collabore au site nawaat.org