Le droit de grève menacé

Le licenciement des 22 grévistes de l’Hôpital de la Providence à Neuchâtel est un scandale sans précédent dans l’histoire sociale récente de ce pays. Un scandale doublé d’un profond mépris de ces travailleuses et travailleurs, qui ont appris par la presse le sort qui leur était réservé. Les allégations du président du Conseil de fondation de l’hôpital, Antoine Wildhaber, déclarant la grève «illicite» sont fausses. Et monsieur le président du Conseil de fondation, qui a refusé de répondre à la presse après avoir lu un communiqué annonçant sa décision, le sait fort bien. Sinon, depuis longtemps, le conflit aurait été porté devant la justice pour faire constater ce caractère illicite. Avec ses pairs, il s’en est abstenu, la partie juridique étant perdue d’avance. Il sait aussi qu’il est grotesque de prétendre que l’établissement était «instrumentalisé dans la lutte politique que mènent les syndicats». A moins de considérer que la défense des conditions de travail relève de l’instrumentalisation politique…

En réalité, le docteur Wildhaber, pharmacien de profession, a ainsi administré  une potion préparatoire à l’opération de reprise de l’hôpital par le groupe privé de Genolier (GSMN). De longue date, ce dernier a déclaré ne vouloir reprendre La Providence qu’à condition qu’il n’y ait plus de convention collective de travail (CCT). Cette convention, dite CCT 21, les grévistes en réclament l’application, puisque La Providence fait partie du secteur sanitaire neuchâtelois subventionné.

La sanction brutale décidée par la direction de La Providence n’aurait évidemment pas pu être prise si le gouvernement neuchâtelois n’avait pas démontré une couardise remarquable depuis le début du conflit, n’hésitant pas à tourner le dos à son propre arrêté législatif imposant le respect de cette CCT dans le secteur.

Au-delà de l’aspect régional de ces licenciements, il faut en voir l’enjeu national. La direction de La Providence a largement profité de la faiblesse de la protection des salarié·e·s en Suisse pour s’attaquer pratiquement à un droit fondamental, le droit constitutionnel de faire grève. Si les notables neuchâtelois ont pu procéder ainsi, c’est qu’ils savent ne pas courir de gros risques. Le droit du travail suisse ne connaît aucune obligation de réembauche en cas de licenciement abusif. Et les sanctions financières prévues n’ont rien de vraiment dissuasif. 

Laisser cette mesure de la direction s’appliquer sans réagir massivement, c’est ouvrir toute grande la porte aux représailles patronales. C’est accepter qu’une CCT ne soit qu’un vague chiffon de papier que l’entreprise ou la branche applique à sa convenance, les contestataires réclamant l’application du droit étant virés sans autre. La manifestation de soutien appelée pour le samedi 16 février doit être le premier signe d’une mobilisation forte contre l’arbitraire patronal menaçant ce droit de grève. Elle ne doit pas être le fait du seul secteur public, mais bien de l’ensemble des syndicats et de toutes les forces attachées à la défense des conditions de travail et de lutte dans ce pays.

  La réaction rapide de la gauche neuchâteloise (PS, POP, Verts, solidaritéS) contre cet «employeur voyou» exigeant «le maintien de tous les postes de travail et l’application de la CCT 21 à qui veut prétendre bénéficier des prestations hospitalières d’intérêts publics» et demandant, dans les plus brefs délais, le transfert des missions hospitalières de La Providence vers les hôpitaux publics est un premier pas dans la bonne direction. La pétition signée dans l’urgence par 66 employé·e·s de l’hôpital de La Providence et dénonçant les menaces de licenciements, «choquantes, inacceptables et indignes de l’hôpital», en est un autre. D’autant plus important que, de l’aveu même de son initiatrice, «nous ressentons une pression très claire. Nous ne pouvons pas exprimer librement nos idées.?» Le soutien aux grévistes licenciées, à leur combativité, à leurs revendications et à leur dignité doit être sans faille. Exemplaire, à l’image de leur lutte. 

 

Daniel Süri